Pop Smoke – Shoot for the Stars, Aim for the Moon

Critique

Quelques mois seulement après l’assassinat de Pop Smoke et la parution de sa mixtape Meet The Woo 2, son premier album studio a été publié à titre posthume, pour un rendu moyen.

Sortie hésitante et précipitée

Bien que Shoot for the Stars, Aim for the Moon soit un album posthume, il a été commencé par Pop Smoke de son vivant. Pour rappel, le rappeur a été tué au cœur de sa maison à Los Angeles courant février dans ce qui s’apparente à un homicide prémédité et ciblé.

En mars, 50 Cent (idole de Pop Smoke) a annoncé qu’il allait être le producteur exécutif de l’album, dans le but de le finaliser. C’est à 50 Cent que l’on doit les morceaux retenus pour le projet, la tracklist, les featurings… Toute la direction artistique.

La légende de New York affirmait son intention de sortir très rapidement l’album, afin que celui-ci génère un maximum de bénéfices pour la famille de Pop Smoke. Le disque devait sortir début juin, mais à cause des récents évènements qui se sont déroulés aux Etats-Unis (pandémie Covid-19 et surtout les manifestations contre les violences policières), la sortie a été repoussée au 3 juillet. Puis il y a eu l’affaire de la cover : Virgil Abloh a bâclé sa réalisation et face au tollé populaire, l’équipe en charge de l’album a été contrainte de la changer.

Méconnaissable, ou presque

La première chose qui frappe, c’est le manque de drill. Pop Smoke a fait connaître et s’est fait connaître grâce à la drill de Brooklyn. Elle est étonnement peu présente dans ce projet. L’intro Bad Bitch From Tokyo se rapproche de ce qu’il avait l’habitude de nous livrer, malheureusement celle-ci ne dure qu’une quarantaine de secondes. Il n’a sans doute pas eu le temps de la finir. Il y a Creature qui nous offre la surprise d’entendre Swae Lee poser sur de la drill. Le duo marche bien, le contraste entre la voix grave de Pop Smoke et la voix aigüe de Swae Lee fournit un rendu satisfaisant à l’écoute.

Le single Make It Rain est sans doute la meilleure track de drill (parmi les inédites). Les featurings avec des rappeurs-prisonniers via le téléphone carcéral deviennent monnaie courante, mais force est de reconnaître que Rowdy Rebel découpe parfaitement la prod et pose un excellent couplet. Le hit Dior se trouve en bonus, lui qui figure déjà dans les 2 mixtapes précédentes de Pop Smoke. Sa présence est due à deux facteurs : booster les chiffres de ventes/de stream, et offrir un morceau drill à un album qui en manque cruellement.

Versatilité

Parmi le reste des chansons, l’empreinte musicale de Pop Smoke se fait rare, contrairement à son empreinte vocale. Il s’essaie au RnB au moyen de plusieurs morceaux, notamment dans Yea Yea, où il traite de la rue, de la drogue, de la violence, des armes… Ce contraste entre l’ambiance et le contenu des paroles est surprenant, voire dérangeant. Something Special lui permet de reprendre le classique So Into You de Fabolous et Tamia. En faisant cela, il ouvre la porte aux comparaisons. Cette reprise est agréable, mais moins que l’originale.

Dans What You Know Bout Love, il tente encore le RnB, avec plus de réussite : sur un sample (très souvent utilisé) de Differences, il se confie à propos de sa relation avec une femme. Cette fois il le fait en se détachant bien mieux de la chanson authentique, en laissant clairement sa marque. Le rappeur s’essaie aussi au son new-yorkais des années 2000 sur Gangstas, une belle réussite. Il en profite d’ailleurs pour tacler 6ix9ine :

I don’t want none of that extra loud shit

This ain’t none of that rainbow hair shit

Et justement sur Snitching Pop Smoke, Future et Quavo s’en prennent aux balances et font de l’égotrip. Les invités sont bons, c’est impossible de dire la même chose pour tous les autres morceaux.

Des feats décevants

Il y a beaucoup de collaborateurs, peu sont au niveau. Quavo apparaît 3x : sur Aim for the Moon il fait du Travis Scott. Dans West Coast Shit, il est meilleur, mais fait pâle figure aux côtés de Pop Smoke (tout comme Tyga).

King Combs est présent sur le morceau Diana. Il a beaucoup de mal à se détacher de la façon de rapper de son père, P.Diddy. Il n’apporte pas de plus-value au morceau qui a des allures de filler. Et ce n’est pas le seul : Enjoy Yourself (ft. KAROL G) peine également à sortir du lot tant il est terne. La voix aigüe et trop autotunée de Lil Tjay sur Mood Swings gâche un peu la douceur du son et agace vite, surtout via ses constants ad-libs. For The Night est assez générique à première vue, néanmoins l’intérêt grandit au fil des écoutes grâce au très bon refrain de Pop Smoke et à l’alchimie partagée avec Lil Baby. Et sans étonnement, Dababy propose à nouveau son flow habituel et casse un peu le rythme de la chanson.

Le morceau le plus anticipé était The Woo, en collaboration avec Roddy Ricch et 50 Cent. Vu le nom, le public pouvait légitiment s’attendre à un son complètement ancré dans l’univers de Pop Smoke. Il n’en est (presque) rien : il s’agit d’une piste aux inspirations sud-américaines, qui se veut dansante et chantée, le tout sur fond de guitare. Ce n’est pas le hit de rap espéré.

Roddy Ricch est le plus à l’aise sur la prod, son grain de folie et ses vocaux font le travail. Mais la déception est présente : cette collaboration entre 50 Cent et Pop Smoke aurait dû sonner comme une transmission de flambeau d’un père spirituel et artistique à son fils. Finalement, le morceau n’est pas marquant, et c’est difficile d’admettre qu’il s’agit du probable seul duo entre les deux rappeurs. Cela aurait été beaucoup plus logique de retrouver 50 Cent dans Gangstas.

Une perte d’identité

À la fin de Tunnel Vision, il y a un extrait d’interview : Pop Smoke affirme vouloir changer le rap, apporter une nouvelle vibe. Or tout au long de Shoot for the Stars, Aim for the Moon il propose de la musique trop fade et générique pour être mémorable. Ses inspirations se font trop ressentir, et à force de jouer sur la nostalgie (en faisant des reprises de 50 Cent ou via des samples de RnB), c’est difficile de reconnaître l’identité musicale de Pop Smoke qui faisait sa particularité jusque-ici. La direction artistique et les feats choisis par son mentor n’ont pas aidé.

Il a longtemps dit tester des sonorités, et il avait diffusé plusieurs extraits de ses expérimentations. Ce n’est pas étonnant d’entendre autant de diversité, surtout pour un premier album qui a des prétentions commerciales affirmées. Le problème se situe plutôt au niveau de l’exécution : la transition a été trop rapide et aurait pu être mieux faite. Quelques chansons resteront dans les mémoires, mais on retiendra surtout que le regretté artiste avait le talent pour accomplir des chose bien plus grandes.

Rotka
Rotka
Life's a bitch and then you die
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