Les précurseurs des années 2000-10 : entre acharnements, reconversions et tentatives de retour

Sur le plateau de l’émission La Récré nous avons appris le retour à venir du groupe essonnien La Comera. Équipe phare d’une époque street qui semble lointaine. Une occasion de s’intéresser à certains acteurs mentionnés comme des précurseurs dans leur domaine.

En effet, la nouvelle génération de rappeurs issus du 91 ne tarit pas d’éloges sur ce duo qu’ils ont écouté durant leurs jeunes années. Parmi eux, on peut aisément citer Niska et Koba LaD, pour les plus connus.

Originaire de Grigny, La Comera est composée de M.O et Tony. Ils ont à leur actif deux projets ; en 2009, il y a eu Boyz In The Hood, qualifié comme un street album et cinq ans plus tard Rock N Rolla sorti péniblement et considéré comme une mixtape disponible gratuitement. Les protagonistes débarquent à la fin d’une ère street qui a ravagé les bacs français et ne bénéficieront pas d’une réussite commerciale. Par contre leur atout vient de leur style aussi bien au niveau du flow que des instrus choisies, qui sont les composants de leurs bangers, terme qui revient quand il s’agit de les classer.  Ils se démarquent totalement de ce qui se fait en dehors de leur département. En effet, les rappeurs du 91 pour la plupart ont la faculté de ne pas se modeler dans un rap disant facile d’accès, leur style n’était pas encore la norme. Ce qui va changer au fur et à mesure qu’ils vont s’éloigner du game. Sans annonce de séparation, on va apprendre la fin du groupe. Ce que l’on peut désormais considérer comme une pause. Tony va disparaître des radars pendant que M.O va continuer sa carrière, en s’acoquinant de plus en plus avec Juicy P. Un album commun a même été annoncé en 2016 mais ne se pointera malheureusement pas.

Nouvelle donne

Ces deux acolytes ont pour point commun, d’être issu d’un groupe adulé par une franche d’auditeurs qui se retrouve en solo par la force des choses. Jack Many ayant aussi un temps abandonné le rap et son groupe LMC Click qu’il compose avec Juicy P. Quatuor au début de leur carrière, ce groupe a fini par une formation en duo, ils ont à leur actif entre autres Vrai Dans L’Jeu (2009), deux volets de Représente Ta Rue ainsi que deux solos Certifié Vrai. Le premier volume étant confié à Jack Many et le second à Juicy P. C’est suite à son volume en 2014 que Juicy P va enchaîner avec sa compilation Bikrave Tour l’année suivante, en référence à la tournée du même nom du GFG et LMC Click en 2012. Sur ce projet il s’entoure aussi bien de son partenaire que des rappeurs venant des quatre coins de France: Ixzo, Siboy, Joke, Niska… En 2018, Koba LaD fera parti des rappeurs de la nouvelle génération à l’accompagner sur un titre et Da Uzi lui a emboîté le pas l’année dernière. Ces titres se retrouveront respectivement sur ses projets nommés Snowfall 1 et 2 sortis en Janvier puis Juin dernier. La dernière sortie de Jack Many date de 2012 et c’est au mois de Juillet 2020 qu’il vient rompre son silence musical avec l’album OGcisme qui se clôture avec une collaboration du rappeur Shone. L’âge aidant, les deux compères qui ont partagé plus d’une fois le micro durant leurs carrières sonnent désormais plus conscients qu’à leurs débuts. Ils sont à l’opposé de ce qui est mis en avant aujourd’hui. Leur rap paraît dans le fond différent de ce qu’ils faisaient lorsqu’ils ont commencé. Par ailleurs, un super crew d’acteurs du rap de rue a été formé officiellement en 2013 sous le nom d’États-Unis d’Afrique, réunissant Hype & Sazamyzy, Zesau, Miko, Yoshi, Shone et LMC Click. Il y a eu une annonce, un premier extrait mais pas de sortie d’album au final.

Malgré l’abondance de projets de bonne qualité de la part de LMC Click, le succès commercial manque à leur tableau de chasse. Faute à un genre musical parlant peu aux jeunes auditeurs mais auquel le groupe s’accroche, en surfant entre la West Coast et le Dirty South. Eux aussi sont des adeptes de banger. Tout cela avec un vocabulaire grignois propre et des voix brutes. Les productions sont classiques mais correspondent tout à fait à leur genre, là où le flow reste marqué à l’ancienne. Jack Many a encore l’audace de placer une voix chantée au refrain et cela par deux fois, masculine (Myssa du groupe Eskadron) sur OG.Style et féminine (Elsa Anifa) sur Zayi, ce qui est devenu une exception en terme de crossover ces derniers temps. La musique reste toujours une question de timing car paradoxalement ce qui sonne à l’ancienne aujourd’hui était pourtant considéré comme différent et novateur aux débuts de LMC Click et La Comera. Ils n’ont clairement pas bénéficié du succès de leur département mais ne semblent pas être complexés pour autant, bien au contraire. Les mentions dont ils sont sujets suffisent à redorer leur blason.

Dans ces conditions, un retour de La Comera aux affaires suffira t-il à obtenir un succès palpable ? Tout dépendra de la manière dont le groupe va opérer. Prenant par exemple le cas Alkpote, qui a réussi par la force des choses et un parcours quasi hors norme à se maintenir dans son univers jusqu’à atteindre une signature chez Sony. En bénéficiant d’un succès limité de par ce qu’il rappe mais plus important, grâce à une meilleure couverture médiatique que celles en indépendant. La Comera est attachée à l’indépendance et il est peu probable qu’elle s’affilie pour ce retour à une major quelconque. Le contraire serait tout de même intéressant, ne serait-ce que pour bénéficier d’une meilleure exposition. Nul ne doute que si leur choix de revenir se fait via des feats mainstream tel que Ninho, Niska ou Koba LaD le résultat peut être efficace en termes de streaming.

Dans le même sillon et tout enclin à prendre son temps nous retrouvons Shone du groupe Holocost et collectif Ghetto Fabulous Gang dont il est le dernier acteur musical. Il sème depuis ces dernières années des singles sans prétention annonçant son prochain album à venir Loin du Paradis, sa dernière sortie solo  (hors compilations) remontant à 2011 avec Jusqu’à ce que la mort les emporte. Reconnu par ses pairs aussi bien pour le côté indépendant que street, Shone fut l’un des fers de lance de ce rap dur depuis le début des années 2000. Un style qui a bénéficié à beaucoup même en dehors du 93. Il est peut être trop occupé à accompagner Freeze Corleone dans ce qui semble être un chemin vers la réussite, avec le soin qui incombe pour franchir chaque palier d’une carrière à accomplir.

Hier, Aujourd’hui, Demain

En termes de rap de tess, Nessbeal n’est plus à présenter. Il a su faire le pont entre différentes générations en sortant de sa préretraite par deux fois avec des têtes d’affiche comme Lacrim [Ripro 1 – 2015] et Jul [La Machine – 2020]. Suscitant à chacune de ses rares apparitions surprises une certaine attente, faute à un manque de communication par rapport aux projets sur lesquels il s’est retrouvé. Il faudra attendre fin Juillet 2020 et le passage de DJ Belleck dans le podcast Featuring pour apprendre qu’un album était prévu il fut un temps. On imagine que c’était à l’époque du lancement de Jeune Vétéran en 2016. Malheureusement il ne sortira jamais pour des raisons diverses et variées. Selon l’invité du podcast de Driver, NE2S avait un titre qui sonnait comme du PNL mais avant l’explosion de PNL… Et pourquoi pas plutôt à du Green Money ? L’allusion n’est pas fortuite dans le sens où l’album Phantom (2013) est considéré comme un classique méconnu. En guise des prémices du Cloud à la française. Au même titre que l’arrivée de Triplego dans le game. Pour en revenir à Nessbeal, un nouvel album est dans les tuyaux et prévu sur le label de Bellek. On en saura pas plus pour le moment. Reste à savoir si ce sera un retour gagnant pour le prodige du 94 dont la dénomination de Roi Sans Couronne est devenue populaire et pas seulement pour lui mais toute une génération de rappeurs sans revenus musicaux.

Contrairement aux artistes cités jusqu’à présent ceux qui vont suivre sont tout le contraire en termes de réussite commerciale. Ils ont été des marqueurs d’un style rendu populaire par un ou plusieurs albums. Glissant sur les carrières de leurs prédécesseurs pour pouvoir mieux exploser. Certains vont définir un style propre qui va être repris comme une définition du rap actuel. Prenant l’exemple de Kaaris à la sortie des deux Or Noir (2013). Une réussite pareille au niveau commercial n’était pas arrivée depuis fort longtemps pour un diptyque aussi sombre, puisant son esthétisme musical dans la Drill de Chiraq, pas vraiment identifiée de notre côté de l’Atlantique. L’équipe qui l’accompagnait à digérer au mieux ces influences pour qu’il les retranscrive dans la langue de Molière. Suite à cela et une direction artistique assez floue, Kaaris a perdu de sa valeur. Ne réussissant pas à garder le niveau avec lequel il était arrivé. L’exemple le plus frappant ce sont les singles envoyés avant la fin de sa trilogie Or Noir : Aborigène, G.O.K.O.U et Livraison étaient une mise en bouche correcte comparé à ce que le rappeur a pu nous servir entre ses différents projets et ON3. En effet, les trois titres n’ont été retenus sur aucune des versions de l’album. Les données sont désormais différentes pour K2A avec la promesse d’un Château Noir devenu 2.7.0 (qui renvoie au titre de sa tape Z.E.R.O) prévu le 4 Septembre prochain et correspondant à un retour d’un style sans concession. Les deux singles envoyés (Goulag, NRV) donnent le La de ce qui pourrait être un produit fini agréable à la rentrée. Tous les feux sont au Vert et les retours assez enthousiastes pour la suite. Malheureusement on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise ou le reste ne correspondrait pas à ce qui était promis. Nous ne manquerons pas de jeter une oreille à cette prochaine galette.

Dans le même genre Batterie Faible et les projets suivants de Damso ont fait des émules qu’on entend encore aujourd’hui. Pour autant Œveillé, son seul single depuis la fin d’exploitation de Lithophédion n’a pas convaincu. La faute à une communication médiatique autour de l’enregistrement pas totalement en phase avec l’idée qu’on peut avoir de Dems. Plus enclin à balancer de la musique que de communiquer de cette manière. Préservant un certain mystère autour de son travail. Ce choix de communication correspond tout de même à la place qu’il a désormais dans les médias ainsi que la pression que certains peuvent exercer sur lui. Par contre il n’y a pas eu de suite directe comme la confirmation d’un projet à venir. Ce qui est assez inhabituel pour quelqu’un qui a enchaîné un solo par an de 2016 à 2018. Il s’est expliqué en pointant des raisons personnelles liées à la santé de sa mère. Fort à parier que la direction artistique qu’il prendra sera décortiquée jusqu’au moindre détail. Encore plus après le départ de son label à succès. Il avait indiqué son souhait de faire une pause après les trois albums qu’il leur devait. Son retour sera-t-il à la hauteur des attentes excessives ? Le public risque de se scinder en deux.

Faute à une réussite qui peut paraître éclair auprès du grand public Kaaris et Damso se retrouvent dans leurs chansons à devenir des caricatures d’eux mêmes et ne plus surprendre positivement. On attend beaucoup de leur part du fait qu’ils soient considérés comme des game changers.

Sur un ton plus polémique, il y a le cas MHD. Aux États-Unis certains patientent quant à l’annonce d’une sortie de prison du rappeur américain Bobby Shmurda et son retour en studio. Ce jeune espoir avait engrené pas mal de monde avec son tube Hot Nigga (2014) et laissé entrevoir un avenir au sommet des charts US.  En France, les accusations qui pèsent sur MHD sont indissociables de l’avenir de sa carrière musicale lancée en 2015. Dans ce contexte, le rappeur français va soit devoir patienter jusqu’à ce qu’on le déclare totalement innocent des faits qui lui sont reprochés, soit reprendre la musique en parallèle de la condamnation qui pèse sur lui. Le doute subsistera car c’est propre à une idée de la justice où l’on reste considéré coupable dans l’opinion publique malgré une décision de tribunal contraire ou peine purgée. Bien entendu, nous émettons uniquement des suppositions pour le créateur de l’Afrotrap. Depuis ce style a été décrié et étiré dans tous les sens par une concurrence en tout genre et non qualitative. Un courant qui puise ses aspirations aussi bien dans le Bisso Na Bisso, Mokobé du 113 que Magic System et la musique contemporaine d’Afrique de l’Ouest.

Côté West Indies, Kalash qui avait bénéficié coup sur coup d’une mise en avant payante pour un artiste d’Outre-Mer avec les albums en major : Kaos (2016) et Mwaka Moon (2017) semble désormais repartir à zéro depuis Diamond Rock (2019). Le succès et l’impact commercial n’ayant pas été au rendez-vous sur ce dernier album. Son rapprochement avec Tiitof, considéré comme un artiste à suivre, pourrait le conserver dans la course à niveau en ayant du sang neuf à ses côtés. Bien entendu Kalash n’est pas le premier DJ.Toaster. Rappeur issu du dancehall (à ne pas confondre avec le reggae) antillais mais c’est le meilleur représentant parmi les nombreux mc’s créoles qui font un mix réussi de tous les genres issus du Hip Hop. Il ne s’agit pas de remettre en cause le statut de Kalash dans sa communauté, d’ailleurs sa chaîne YouTube témoigne en sa faveur mais plutôt celui au sein d’un public large qui ne l’identifie plus spécialement comme un artiste indéboulonnable.

S’adapter pour survivre

Les précurseurs sont légion et pas dénués de talent. Ils ont essuyé les plâtres avant d’être reconnus à leur juste valeur. Le travail accompli témoigne en leur faveur et dépasse le cadre temporel. L’impact restant le facteur le plus important dans leur cas et cela même si il n’est pas palpable dans l’immédiat. Ils s’inscrivent dans le temps et correspondent souvent à l’avenir. Bien entendu, La Comera comme LMC Click et leurs proches ne sont pas à l’origine de tout dans le 91 (FuturistiqAgression Verbale, Fuck Dat, Ul Team Atom, Smoker). Les diverses participations sur leurs albums en sont la preuve. Ils ont aussi eu des aînés. Au même titre qu’un Médine ou Youssoupha avec respectivement Ness & Cité et Sinistre. Le plus compliqué pour les précurseurs d’un certain son c’est de s’adapter à l’industrie. Être le premier ne signifie pas être au top. Il faut parfois faire preuve de ruse. En lançant des carrières solos qui amèneront plus de popularité à son écurie. À la manière des satellites qu’ont été le Secteur Ä et la Mafia K’1 Fry. L’un en devenant une marque de fabrique, l’autre avec son million de disques vendus toutes carrières confondues. Contrairement au groupe Expression Direkt, qui malgré des tentatives artistiques réussies ont eu plus de mal à attirer un public conséquent. De Guet Apens aux différents solos en passant par la sortie Le Code de L’honneur par un de leur label, la continuité en groupe puis un dernier feat en guise d’adieu sur La Fierté des Nôtres avant un retour avorté en 2011. Ils participeront tout de même six ans plus tard à la tournée L’âge d’or du rap français. Les temps changent mais les artistes phares restent. Les extensions du groupe IAM via leur Côté Obscur (Sad Hill, La Cosca, Kif Kif, 361 Records) ont pêché par gourmandise tout en révélant des artistes devenus populaires sur la durée  (L’Algérino, Soprano). Les labels fondés par le duo NTM (B.O.S.S. et IV My People) ont plus profité à JoeyStarr et KoolShen qu’à leurs différentes signatures, par exemple Iron Sy et Salif.

Les tentatives de retour peuvent être considérées comme de l’opportunisme auprès de certains mais ce serait une erreur d’associer uniquement les deux. Il y a aussi ce goût d’inachevé et constat de la réussite des nouveaux acteurs que l’on juge moins talentueux. Une incompréhension se crée alors sur le travail d’antan qu’on trouvera bien au-dessus de ce qui est produit aujourd’hui. Encore faut-il convaincre l’ancienne comme la nouvelle génération qu’un retour est possible. Le plus dur étant de s’arrêter et passer à autre chose.

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