Pour une réhabilitation de Lithopédion

« Plus la discographie d’un artiste s’étire, plus ses derniers travaux deviennent médiocres »

Cet adage ne semble pas s’appliquer à Damso, qui parcourt même le chemin inverse. Ce n’est pourtant pas l’opinion majoritaire : Lithopédion est considéré comme étant l’album cassant une trilogie qui aurait du propulser le rappeur bruxellois sur les sommets du rap. Pourtant, Lithopédion est une œuvre rare dans le rap français, tant dans sa conception que dans son ambition. Alors, pourquoi tant de haine ?

Lithopédion est l’album le plus expérimental de Damso

Qui dit expérimental, dit découverte, sortie de zone de confort et tentatives. Très souvent, les albums expérimentaux sont assez mal accueillis par la fanbase, qui souhaite une version améliorée des précédents travaux. Lithopédion est un trait, une rature, une croix que Damso dresse au chemin qui lui semblait être tout tracé. Il l’a dit, il sait très bien Comment faire un tube, mais est-ce si intéressant au final ? Damso propose avec Lithopédion l’opposé des tubes. Il n’y a qu’un seul featuring (Angèle) sur un morceau de 2 minutes. Inexploitable en radio. Le format même des morceaux (très souvent courts ou bruts) fait de Lithopédion un album intègre et sans concessions.

Cette expérimentation est observable dès l’introduction de l’album, ravageuse, fougueuse et violente. Le ton de Damso, que l’on avait l’habitude d’entendre si serein et posé, est beaucoup plus violent, sombre et habité. Froid, rageur et tempétueux, ce morceau est aux antipodes de tout ce que Damso a pu créer auparavant. Les intonations gueulardes et pleines d’amplitude, juxtaposées à un flow haché rendent son delivering particulièrement savoureux.

Cette volonté d’essayer de nouvelles choses, de tenter, plutôt que de se reposer sur une recette déjà toute établie du succès est très appréciable. Il s’essaie par exemple à un nouveau flow sur Feu de Bois, en privilégiant le ressenti et les sensations à l’intelligibilité. C’est un débit très rapide, agrémenté par de nombreuses assonances et homophones.

L’ambiance se fera beaucoup plus douce et rêveuse sur le très aérien et abstrait Festival de Rêves ou bien sur la comptine Silence. Le symbole de cette volonté d’expérimentation est le morceau Julien, qui fera couler beaucoup d’encre. Les choix du Dems désorienteront jusqu’à sa propre fanbase. Le thème abordé est celui de la pédophilie, très peu abordé dans le rap, avec une interprétation et une production à doubles tranchants car à la limite de la variété. Julien n’aura pas un franc succès d’estime, mais la proposition reste intéressante dans un milieu un peu trop habitué à rester sur ses acquis.

Une écriture haut-de-gamme

Lithopédion est l’album le mieux écrit de Damso. Les thèmes sont plus variés, le propos plus concis et vif, et à ce titre, le morceau Baltringue est une véritable démonstration d’écriture.

Parfois, à trop vouloir en faire, Damso tombe dans la sur-complexité inutile lorsqu’il essaiera de faire de Festival de Rêves un morceau pouvant se lire dans les 2 sens, amoindrissant au passage sa qualité.

Mais c’est sur Lithopédion que Damso se confiera réellement pour la première fois de sa carrière avec le très touchant « William ». Pour comprendre Damso, il faut comprendre William. Ce morceau est aux antipodes de tous les propos que Damso a pu tenir à l’endroit des femmes dans ses morceaux et de l’image de fuckboy insensible qu’il renvoie. C’est une réelle introspection. Le morceau est d’ailleurs très court (1 minute 35), comme si cette mise à nu en coutait réellement à son auteur. Cette intimité n’a jamais été égalée sur les précédents albums de Damso et donne une toute autre dimension à l’album. « Ça devient difficile même d’en parler donc je vais plus trop parler » se justifie t-il dans le morceau. Cette sensation de proximité avec l’artiste, ses peurs, ses doutes, est le point fort de Lithopédion.

Contrairement à Ipséité, Lithopédion est dénué de tubes en puissance. Pas de toplines ravageuses ici, l’oeuvre se veut brute, complète, pure et sans concessions.En résulte forcément une oeuvre moins accessible au grand public, moins dansante, mais plus vraie. Les productions de l’album sont une réussite, la volonté de proposer autre chose est palpable et le pari est rempli. L’album ne sonne comme aucun autre. Silence est le parfait exemple de cette volonté d’expérimentation. La production n’est rien d’autre qu’une loop mélodieuse, sans drums et le résultat n’en est que plus savoureux.

Une construction en dents de scie

Lithopédion est l’album le plus cohérent de Damso, le mieux construit mais paradoxalement le plus hétérogène. L’album est ponctué de plusieurs fillers, ce qui rend très souvent son écoute plus aisée en tant que playlist plutôt que véritable album. Du fait de cette volonté d’expérimentation, certains morceaux sont clairement ratés (Même issue, NMI, Tard la night, 60 années), tandis que d’autres sont plus que réussis.

Cet album aurait sans doute gagné à être beaucoup plus court en réduisant les tracks jetables et beaucoup plus long dans le format des tracks de qualité. C’est ce qui peut également contribuer à expliquer un si grand rejet de cet album. Dommage car cet album possède indéniablement de grandes qualités, mais pas celle de la compacité.

Lithopédion est l’album le plus sombre et le plus extrême que Damso ait jamais concocté. C’est l’album qui s’affranchit de tous les codes, des formats radio, des clips, des tubes. C’est l’album de l’art total, c’est l’album que chaque rappeur doit avoir fait au moins une fois dans sa carrière.

Tibbar
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Do you fools listen to music or do you just skim through it ?

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