Le Juiice fait partie des artistes triées sur le volet, à qui l’on a consacré un article spécial sur le site. Plus récemment, c’était au sujet du documentaire Reines, centré sur le titre « Ahoo ». Elle apparaissait à l’écran comme l’aînée de ce groupe éphémère de cinq membres, dont Davinhor et Bianca Costa.
Femmes actuelles
Commercialisé à tort comme le premier morceau français réunissant uniquement des rappeuses. Preuve étant que durant l’année 2021, il y a eu dans le même genre, « Shoot » (Kanis, Sally, Alicia, Joanna) avec un casting quasiment identique, comprenant déjà Chilla et Vicky R. En Mai 2017, il y a même eu un cypher Les Divas, certes qualifié R&B, mais qui comprenait la présence de Lyna Mahyem. Si l’on veut aller encore plus loin, il y a la piste 9 sur la compilation Mission Suicide [2001].
Il n’est pas question de remettre le talent des nouvelles venues, mais juste pointer l’histoire culturelle dans le contexte, au-dessus du plan marketing. Suite à cette exposition médiatique, l’attente d’un projet solo de chacune a pu susciter de l’intérêt. Vicky R est la première à être revenue sur le terrain, via la réédition de RHC, le 4 février dernier.
Juicy
Le Juiice vient la seconder une semaine après, avec ce projet ambitieux nommé Iconique. C’est peut-être là où le bât blesse, donner un tel titre paraît prématuré, mais correspond à la motivation qui anime la rappeuse depuis ses débuts (Trap Mama, Jeune CEO). Même si la qualité n’est pas au rendez-vous, sur tous les points que constitue le contenu de l’album. Dans le rap, les annonces dépendent toujours de qui et quand.
L’intro Petit cœur s’abîme [produit par AlexDaGr8] est peut-être un clin d’œil subtil à Cœur de bombe, issu du dernier album de Diam’s. Un geste qui serait idéal pour enterrer définitivement l’incompréhension suscitée, autour de son propos sur la rappeuse à la retraite.
Se débarrasser de toute humilité en studio est un exercice courant dans le Hip-Hop. Encore, faut-il arriver à un certain stade de sa carrière ou être reconnue comme tenante du titre d’une certaine attitude. Le Juiice est talentueuse et semble s’en sortir plutôt bien dans son parcours, qui compte désormais trois projets sérieux à son actif, avec des combinaisons loin d’être inintéressantes. Tout en franchissant une nouvelle étape dans son développement.
Iconique, résonne comme une polyvalence musicale, mais interchangeable. Dans le sens où il ne déroge pas à la règle du rap actuel et correspond à un cliché pris en instantané de la scène française. Tout le contraire de ce dont on est en droit d’espérer. Juicy a surtout son timbre de voix comme point fort. Un outil utilisé à bon escient, mais l’album nous plonge dans un univers trop connu des auditeurs avertis.
L’illustration d’un genre commun
Sur internet, on peut trouver plusieurs définitions pour iconique. La première, propre à l’image. La seconde, se dit de ce qui incarne, illustre de façon exemplaire. LJ serait dans ce cas, l’incarnation visuelle de ce qui se fait de mieux. Un concentré de bonnes idées pas toujours exploitées au maximum. Avec des sonorités en tout genre et tentatives de déstabilisations dans les propos sensés comme insensés.
Un côté hard qui parait inédit et poussif dans son ère, mais qui simplement n’a jamais pris en France, de Roll-K à Shay, en passant par B-La. Il n’est pas évident de dissocier le genre à l’écoute, surtout quand il s’agit d’une rappeuse qui manie des phases à consonance sexuelle. On peut affirmer que de ce point de vue, Le Juiice est au même niveau que ses collègues masculins. Elle n’oublie pas d’asséner des paroles aussi fortes et évite de glisser dans la misandrie. On reste surpris du travail déployé, mais trouve le résultat final correct, car ce trait d’esprit est déjà connu et surexploité.
Twelve Trap Commandments
Les productions sont minimalistes et correspondent à ce qui se fait sur le marché selon les aspirations ciblées. La plupart sont sous la responsabilité de Draco Dans Ta Face. Certaines sortent du lot, tandis que d’autres sont placées pour suivre la concurrence. Qu’il y ait des variations dans l’instru (Louis Bag, Dieu soit loué) ou une dynamique classique (Booty Guard). Juicy applique son flow selon l’atmosphère dégagée par la composition, en évitant d’être linéaire, mais sans forcément être originale.
Joyce de son vrai prénom, s’évertue à nous parler d’elle, et c’est à travers ses confidences que son style paraît plus intéressant. Pour autant, elle maintient sa posture de rappeuse et ne laisse pas tomber totalement le masque, ce qui est plutôt agréable, car elle conserve une part de mystère. En termes d’éventail artistique, il n’y a rien de désagréable et LJ s’en sort bien.
Il y a des rimes simples, qui correspondent à une volonté d’être écoutée facilement. Avec des mots-clés comme Givenchy, Louis pour Vuitton, Prada, Fendi, Gucci, Margiela qui parleront toujours à un certain public attaché aux mêmes marques de luxe. C’est réducteur de les reprendre ici, mais ça correspond à une lassitude causée par les mentions de nos artistes.
En attendant la cour des grandes
Son côté bad est mieux exploité sur des formats slow (Parle moi français, Kodak Black). Là où Iconique [Finvy, KamiYo et Draco Dans Ta Face] est le plus abordable pour intégré sa musique, Jusqu’à la mort [Mucho Dinero] s’affiche comme compétitif et représentatif de son côté artistique. Un constat visible jusque dans leur mise en vidéo. L’un étant plus classique dans le respect des codes que l’autre, qui laisse libre court à son imagination. D’ailleurs, celui de Dieu soit loué, se place à quelques plans près, dans la même vision que Le bruit de mon âme de Kaaris, le paternel du son trap français.
Ses invités sont moins connus que sur ses précédentes sorties. Disant qu’elle avait déjà prouvé sa versatilité, en échangeant avec des personnalités aussi diverses que Stavo, Meryl, Jokair, Cinco et Nwarboy.
Les nouveaux venus sont tout aussi complémentaires auprès d’elle. Une préférence pour Himra, issu du rap ivoirien, territoire qui est souvent cité dans l’album. Sur Ghanos [Mucho Dinero], la trap mama est menaçante avec l’accent et use d’une volonté de s’amuser tout en offrant une visibilité en plus, au rappeur surnommé La Machette. Tatalia semble débuter sereinement au micro, tandis que 26keuss et IGO continuent sans forcer sur leur lancée. D’ailleurs 24/24 [M. Diao] et Biig [Finvy et Draco Dans Ta Face] sont assez similaires pour ne pas les citer.
La mama
Le Juiice a le bon de goût de ne pas offrir une playlist interminable en guise de mixtape ou des snippets sur chaque piste. Par la force des choses, on retrouvera des thématiques communes. Son projet est bien construit, mais il lui manque les particularités nécessaires à sortir son auteure de la masse.
On constate qu’elle paraît plus active dans son domaine et manque rarement à l’appel quand il s’agit d’être citée. Elle a l’air en tête du train de sa génération. De là, à être iconique, il est trop tôt pour juger de l’apport musical et préférable de lui laisser le temps de poser sa pierre. À l’heure où les albums sont déclarés classiques, trente minutes après leur mise en ligne. Il a bien fallu à Mélanie Georgiades, des partenaires solides pour passer un cap.
Joyce Okrou compte dans le rap français et a le mérite de se prendre et d’être prise au sérieux. Selon les exigences de chacun, les espoirs sont toujours comparés aux icônes. Sur ce point, elle a toutes les qualités d’une meneuse. Celles qui la prendront en référence, ne pourront qu’évoluer. Si l’on se fixe uniquement sur le statut d’iconique, elle semble plus amener à le devenir, via ses prises de position que par cet album. Tout est question de timing dans son auto-célébration et surtout ce qu’elle va léguer aux prochain.e.s.