Ol Kainry – Noble Art

Critique

Toute personne qui s’est intéressée à l’autobiographie de Mike Tyson “La vérité et rien d’autre”, constatera d’entrée l’influence positive de son entraîneur, Cus D’Amato. Il est à l’origine du mindset du futur champion du monde, qu’il ne verra malheureusement pas brandir la ceinture. Fort à parier que la vie d’Iron Mike aurait été différente sans la rencontre avec cet homme.

Freddy Kpadé est l’un des meilleurs de sa génération et il fait partie des rappeurs quadragénaires a encore suscité de l’intérêt. On peut se poser la question, pourquoi en solo et avec tout ce qu’il a entrepris, il est considéré comme sous-côté ? Ce terme fourre-tout propre au rap est proche de la paresse, pour fustiger l’absence de succès incontesté. Le présent nous apprend qu’une carrière est bien plus complexe que ce qu’on pouvait penser.

Right here, right now

Ol Kainry est un cas d’école, car loin d’être un mauvais élève, il semble surtout manquer d’un directeur artistique. L’équivalent d’un D’Amato semble se faire sentir depuis la sortie de son premier album. Il donne l’impression de tout faire, seul et de prendre toutes les décisions qui l’amènent à créer.

Ce qui est un gage de qualité, lorsque l’on constate la manière à laquelle il traverse les décennies. Seul bémol à l’écoute de ce qu’il sort, c’est la pensée que certaines pistes sont dispensables. Le rendu est conséquent, mais quelques détails peuvent plomber l’aspect général.

Un rappeur sans limite, que l’on peut définir par les adverbes suivants, ici et maintenant. Est-ce que c’est toujours bien ? Non. Est-ce qu’on lui en veut pour autant ? Non plus. Qu’est-ce qu’on lui reproche ? Par moment, de pas assez se canaliser. De ne pas tenir compte des codes, qu’il y a eu malgré tout dans le rap français. Ce qui peut être accepté pour les autres, ne le sera pas spécialement pour lui. Le public a décidé qu’étant arrivé sur un créneau street, il ne pouvait pas être plus léger. Pourtant son éclectisme et sa lucidité parlent pour lui. Quand il est le plus efficace, c’est lorsqu’il rappe ses états d’âmes, de bonhomme des rues de Courcouronnes.

Old school, new school

Il faut remettre dans le contexte l’arrivée du boug Dyf et la lumière qu’il a mis sur sa ville. Sans faire une généralité, on pouvait reconnaître par le flow emprunté, parmi les amateurs, ceux qui s’étaient mis “Au delà des apparences” dans les oreilles. Au même titre que Ninho ou Niska actuellement. Un atout reconnaissable heureusement, à la limite de la marque déposée par sa voix unique donc peu imitable. Si Dyfrey n’est pas toujours reconnu à juste titre, il est indéniable qu’il a eu plus d’un quart d’heure de gloire. Assez pour influencer ses pairs et une partie même infime d’auditeurs. Le coup du sort reste l’affaire qui l’a opposé à Christian Louboutin, avec un titre victime de son succès.

La présence médiatique de Kodjo Houngbeme ces derniers mois, prend tout son sens, quand on s’intéresse à Ol Kainry. Le fondateur de Nouvelle Donne qualifie son ancien poulain d’avant-gardiste. On ne peut que lui donner raison si l’on se base sur sa volonté continuelle de casser les normes établies. La sortie d’un nouveau projet quand il s’agit d’un profil comme le sien, c’est l’opportunité de mettre en avant une large discographie en mode aléatoire. Quitte à renvoyer vers des morceaux plus marquants. Ce qui pousse à s’interroger sur l’absence de pièce maîtresse. L’interrogation est ouverte.

L’ermite pas net

Parmi les propositions qui viennent en tête, celle de “Raftel” apparaît quasiment par surprise. Le rappeur torse nu le sort après une période où il exprime sa volonté de moins sortir des projets calibrés comme des albums, mais selon son envie de format.

Il est en pleine maîtrise de sa transition et l’on ressent un relâchement positif, sans attente particulière. Ce qui lui a valu une bonne qualité artistique sauf que le concept a été étiré sur les trois projets suivants, comme a pu faire Mac Tyer avec la trilogie Noir. Ce qui devait être une récréation s’est transformé en kermesse, avec son lot de bonnes et mauvaises idées.

LÀ J’AI ENVIE D’UN PROJET SALE, GENRE ON NE MONTRE PAS LES TÊTES [Bang]

À l’annonce de “Noble Art”, il ressent le besoin de revenir à ce qui se rapproche de l’ère “Demolition Man” et “Iron Mic 2.0”. Jusqu’à transformer ses anciennes phases, comme sur l’écoute de rappeurs dans les toilettes et la fellation. Procédé que l’on retrouve sur d’autres titres et qui renvoient par exemple à “Abattu du vécu II” [Produit par Ajevi] et “Scènes de batard” [Dave Daivery]. Il accompagne son retour avec une pochette simple et déconcertante, à la limite du déjà vu, si l’on pense à celle de “Difrey”. Ce qui est surprenant en image et en vidéo, c’est l’absence de sourire de sa part. Son visage retranscrit une lassitude à la limite de la fatigue.

Ténébreuse musique

Les plus calés en pop culture et clients du Nekketsu Show, auquel Dyf participe activement, ne manqueront pas de capter l’origine de “Valar Morghulis” [RDB]. Comme les plus anciens auditeurs ne manqueront pas de se souvenir du label Got Gunz, en remarquant la présence d’Alkpote sur le morceau.

À ses débuts, le membre d’Unité 2 Feu fût signé en groupe par Ol Kainry. On compte peu de collaborations entre les deux, mais c’est un juste retour des choses. D’autant plus que comme les autres invités de ce posse cut arrangé, il intervient deux fois sur l’album. Kai du M, Souffrance, Alonzo, Testos (qui rafle la mise sur QB) et A2h comptent parmi les plus convaincants dans leurs quatre mesures. Lorsque Socrate clôture le titre, on est en droit de penser, que treize ans après, il s’agit d’un nouvel appel manqué.

La piste suivante vient nous rassurer et renvoyer à une seconde référence culturelle. Un featuring symbolique pour ces figures départementales sur une des productions réussies de RDB, qui quadrille la moitié de l’album. À se demander pourquoi il n’a pas eu lieu plus tôt, tant l’alchimie est réussie. Cela sonne aussi évident que la fin de parcours de Nino Brown et Gee Money. Reste à savoir si le terme feat culture sera repris à l’avenir par d’autres mc’s de leur acabit.

Here comes a new challenger

Noble Art pourrait avoir pour sous-titre, c’est toujours pour ceux qui ont la réf. Qu’il s’agisse d’un hommage curieux, mais respectable au rappeur Prodigy ou d’un trajet de bus dans Evry. Quand la Mafia K1fry avait pour transport en commun, le 183 qui desservait Orly-Choisy-Vitry, Ol’ et Alk avaient le “402” [RDB], utile encore aujourd’hui à l’époque de Kai. Ce dernier bénéficie au même titre que Tito Prince, BBL et Jewel Usain avant lui, de la validation de Freddy vis-à-vis des rookies. S’il semble ne pas être prêt à jeter l’éponge, il ne désespère pas de trouver son Tommy Gunn ou mieux, qu’un Adonis Creed vienne à lui.

Il y a un exercice dans lequel la qualité du boug déter n’est pas reconnu, c’est le storytelling. Pourtant, il s’en sort haut la main, la preuve à nouveau avec “Bougz In Da Hood” [Lexsaburo]. Sur une sirène lente et pesante, il fait un retour en arrière sur un court épisode où il cède à ses pulsions dans un quartier ennemi. Le Triangle des Bermudes (Evry-Grigny-Corbeil) et ses saisons incrustées de faits divers connus des habitants.

Le superman noir ne démérite pas lorsqu’il s’agit de parler de ses sentiments. Sincère sur “Futur-ex” [DJ Shean], une chanson concept dont il a le secret et s’adresse en guise de prévention à sa potentielle lady. Comme il peut l’avouer, il a tendance à se disperser dans ses relations amoureuses. C’est un parallèle qu’on peut lui attribuer dans sa pratique de la musique. Habitué à être transparent, il apprécie ce genre de morceaux qui marque un temps de repos avant la reprise.

Balrog

Les pistes de 9 à 11 sont littéralement combatives pour imposer son statut de kicker, en duo comme en trio. Avec Alonzo, ils remettent les gants après un bon souvenir laissé sur “Invictus” [Sekel]. On remarque une version différente pour le clip, tandis que sur l’album, est repris un refrain connu fin 90’s via Eric Williams (2pac – Do for love), qui reprenait le classique “What you won’t do for love” (1978) de Bobby Caldwell. Il y aussi la réplique de Jamie Foxx dans Django Unchained, mais cette fois placée par Difrey et pas insérée comme à la fin de “Nègre en selle” [Cannibal Smith].

On quitte le ring pour rentrer dans l’arène des gladiateurs que sont Kamnouze & Horseck. Si “Paid in Full” [RDB] ne brille pas par son originalité, alourdie par du name dropping, il reste sacrément efficace. C’est leur troisième collaboration en 2023, dont deux productions de Misère Record sur “Ball-Trap” et “FFF”, pour Fédération Française de Flow. Ils ne peuvent pas faire plus explicite à trois et nous font apprécier leurs matchs d’exhibition. Un duo attendu depuis quelques années qui a accouché d’un premier projet en Mai 2023 et avec qui Ol Kainry forme un trio naturel. Dans ce défouloir, il en profite pour lâcher un clin d’œil à un album de Dmx.

Requiem

Après avoir violenté les bpm, “Morpheus” [Black Bell Beats] est la preuve, qu’il aime clôturer ses albums sur une chanson consciente, où il allie tous les aspects de sa personnalité. Rien de nouveau, mais le placement est apprécié. Il a beau étirer ses thématiques favorites, on ne peut pas les juger désagréables. Reste à observer comment cet album va vieillir par rapport aux autres.

Il n’est pas rare de revenir sur un ancien titre de l’ex membre d’Agression Verbale. Des plus énergiques aux plus touchants, et cela, à travers les différentes carrières qu’il a su mener à bien. Ce qui est frustrant sur “Noble Art”, c’est qu’il ne semble pas s’intégrer comme un acteur important de la culture qu’il défend les poings serrés. On peut le considérer à l’instant, parmi ses projets mineurs. Le but est de laisser place à la caisse claire et de kicker tout bonnement. On ne boude pas notre plaisir musical. Le point de vue qu’il donne par moment, laisse croire qu’il s’oublie et reste uniquement au stade d’admiration vis-à-vis de ses contemporains américains. On parle quand même d’un rappeur français, qui a fait partie un temps, d’une tournée européenne de Raekwon.

Se faire une raison

Souvent comparé à Jadakiss et l’on sait ce que la présence d’un producteur comme Sean Combs a causé dans la carrière de The Lox. Le talent dû au caractère rue, leur a permis de se libérer des chaînes de Puffy. Pour en revenir à la comparaison, la musique de chacun parle pour eux, du public de Yonkers au Canal. Ils possèdent les titres qu’il faut selon le genre souhaité. Ce qui est reproché ici, à Ol Kainry, l’absence d’un mentor est peut-être ce qui lui a évité de porter un costume brillant pas ajusté à sa carrure. 

Ses décisions restent en phase avec l’homme qu’il est. Qu’il s’exprime sur Bobby, refuse de sortir le troisième Facteur X, signe deux albums avec Dany Dan, salués par tous ou reprenne le générique de la série Hung. Finalement, Freddy reste le maître à bord, car il assume sa traversée sans flancher. En laissant derrière lui des leçons de rap.

Toute personne qui s’est intéressée à l'autobiographie de Mike Tyson “La vérité et rien d'autre”, constatera d'entrée l'influence positive de son entraîneur, Cus D’Amato. Il est à l’origine du mindset du futur champion du monde, qu’il ne verra malheureusement pas brandir la ceinture. Fort...Ol Kainry - Noble Art