2 ans après P-Town, Jazzy Bazz sort un album 12 titres avec cette fois-ci le fil conducteur de la nuit. Analyse titre par titre de cet album crépusculaire.
Le pari du fil conducteur est assez audacieux car très difficile à tenir. Il faut parvenir à créer une cohérence atmosphérique, lyricale et assez homogène. Dès les premières notes du morceau d’intro Crépuscule, le pari semble réussi. La rampe de lancement du moins, c’est après que ça se complique. Crépuscule est une courte intro, très mélodieuse et songeuse dans sa production, les chœurs féminins et le léger piano fournissent une très belle expérience, c’est dommage que la meilleure production de l’album ne dure qu’une minute 39 mais soit. Jazzy Bazz crache quelques lines en milieu de morceau, c’est très carré bien que succinct.
Avec Presidente, Jazzy Bazz y aligne des lignes assez banales, des flunchlines assez gênantes « je me demande si un raciste à l’étranger se déteste ». Bref, rien de marquant et du cut d’instru pour des répétitions de rimes en « rien à branler », on aurait pu choisir mieux. La production est simple et passe bien, sans plus, il n’y a rien de particulièrement beau ou notable.
C’est sur Éternité que ça s’étiole sérieusement. Jazzy Bazz dérive un peu plus vers le thème du temps qui passe, rien de bien notable ou brillant, c’est Nekfeu qui va littéralement saboter le morceau. Une intervention caricaturale, avec un assemblage de rimes et d’allitération qui n’ont pas vraiment de sens, on est habitués à tellement mieux venant de lui, mais il a parfois des rechutes boom-bap, heureusement, il va se rattraper sur sa 2e intervention (Stalker).
Leticia, est une ôde à la féminité et à une femme en particulier. On délaisse un moment la noirceur pour installer une ambiance sensuelle, la production devient plus jazzy et douce. Malheureusement Jazzy Bazz s’y prend assez mal et accumule les banalités sans parvenir à sortir de phrase quotable, il se parle plus à lui-même qu’à Leticia. Le refrain sauve le morceau.
Buenos – Aires est un morceau avec une production en 2 parties, la 1ère partie, bourrine et mal agencée est beaucoup moins efficace que la 2ème, plus smooth et reposée. Très belle phrase : « si je suis proche d’un ennemi, c’est qu’il ne s’est pas encore déclaré ».
Minuit est ce que j’appellerai un morceau de transition. Vous l’aurez sans doute compris, jusqu’à ce morceau, l’album était pour moi clairement raté. La belle voix de Sabrina Bellaouel accompagne ce retour nécessaire à la Nuit, un peu similaire au morceau Crépuscule.
C’est à partir de là que ça devient intéressant. La production épique de Sentiments, qui laisse entrevoir des bouts de Redbone de Childish Gambino dans les drums et la guitare est clairement une réussite. Lonely Band apporte une touche love à ce morceau à mi-chemin entre tendresse et allégresse. Jazzy Bazz intervient en seconde partie, portée par cette production, on commence enfin à apercevoir de la technicité, les assonances passent comme une lettre à la poste, portée par un flow robotique et précis, qui se marie à ravir avec la production. Un des meilleurs morceaux de l’album.
Retour à la nuit avec Stalker, Nekfeu commence le premier. Contrairement à son intervention sur Éternité, les lyrics sont efficaces car imagés et bien rappés. Le thème est respecté et très intéressant, le stalking étant un axe qu’on entend très peu dans le rap français, Jazzy Bazz nous fournit aussi un couplet de très bonne qualité. Bonnie Banane est comme à son habitude, excellente. Ses intonations « sommeileileileileil » sont peut-être en trop mais peu importe. La production fait penser à Gesaffelstein, maître de la nuit.
C’est sur Insomnie que Jazzy nous montre l’étendue de ses talents. Il n’y rappe quasiment pas et se contente du refrain et des bridges. Les intonations qu’il donne à chacun de ses mots est remarquable, les paroles sont simples et belles : « Quand les rues sont vides, les néons donnent à la ville des reflets d’incendie »
Et nous voici au plus beau moment de l’album, Parfum. On le sait, Jazzy Bazz est un homme nostalgique et emprunt de spleen. Accompagné d’une guitare acoustique mélancolique et d’un saxophone pleureur, Jazzy Bazz distille ses souvenirs d’enfance. « Des joies, des peines, des larmes et des sourires », il n’éprouve même plus le besoin de trier, se rappeler de tout ceci suffit pour éprouver du regret.
Morceau olfactif, Jazzy Bazz n’en oublie pas de nous démontrer sa palette technique, quelques rimes et allitérations très bien choisies :
« L’odeur des polpettes, mes papilles qui palpitent
Avant que je vascille, que mes pupilles s’écarquillent »
« La furie laisse place à des gens qui sur ma musique s’exaltent
Et moi-même, j’suis surpris d’être là
Puisqu’avant je subissais l’taf même si la galère nous unissait grave »
Rue du Soleil reste dans la même vibe spleenétique, Jazzy Bazz devient un peu plus introspectif et questionne son rapport aux autres et à ceux partis trop tôt. Un beau morceau de réminiscence.
Le dernier morceau, 5 heures du matin est un peu plus actif et chaud dans la production. Les refrains chantés sont une réussite et le delivering rap est bien effectué. Jazzy Bazz campe (ou est ?) le rôle d’une personne ivre faisant une déclaration d’amour à une femme.
Conceptuellement, Jazzy Bazz a conçu un album très intéressant. Les productions sont une réussite totale et fournissent au projet une belle couleur musicale, c’est plus au niveau de l’écriture que ça pêche à certains moments. On ressent néanmoins une grosse inflexion à partir de la 7e track. Il aurait peut-être fallu rétrécir l’album et s’affranchir d’El Presidente, Eternité, Leticia et Buenos Aires – Paris pour fournir une expérience vraiment compacte. Sentiments, Insomnie et Parfum sont les temps forts de l’album et auront assurément une belle replay value.