Lil Wayne – Tha Carter V

Critique

Welcome back.

Après plus d’une demie-décennie de pourparlers, de silences, de tutoiements avec la mort, de tensions et de retards, l’album Tha Carter V voit finalement le jour. Enregistré pour la majeure partie en 2014, il ne sortira que 4 ans plus tard, le 28 septembre 2018, jour de l’anniversaire de Lil Wayne.

Dans ce cinquième épisode de la saga Carter qu’il avait érigée en 2004, Lil Wayne positionne sa mère, Jacida Carter, en pièce centrale de l’album. Sur la couverture de l’album pour commencer, où on peut l’apercevoir prenant par la main le jeune Wayne. Mais également dès l’introduction de l’album, où elle livre un message touchant à son fils, en clôture de l’album et également en skit sur plusieurs morceaux. Wayne a par ailleurs soulevé à de multiples reprises le rôle important qu’a eu sa mère dans l’élaboration de l’album.

Les larmes en guise d’encre

L’aspect thérapeutique de cet album transparaît à de multiples reprises, notamment sur la track finale, Let It All Work Out bordé par le sample du chanteur britannique Sampha. Dans ce morceau très personnel, Weezy se confie et s’explique sur la tentative de suicide qu’il a fait à seulement 12 ans, après que sa mère l’ait interdit de rapper. Open Letter, Mess et Perfect Strangers sont les morceaux où Wayne est le plus honnête (et donc le plus touchant).

Open Letter, comme son nom l’indique, est une lettre ouverte destinée à sa famille, son public, son entourage. Sur un beat lent et macabre, Lil Wayne expose sa haine de lui-même. Il y raconte ses pensées suicidaires et comment il tente de composer avec la réussite, la célébrité, et les relations amoureuses.

Une tendance à l’effacement

Le problème est que cet album n’a pas vraiment d’identité et Lil Wayne n’arrive à marquer son empreinte que lorsqu’il est seul. Il est impossible d’attribuer une propriété propre à Carter V, un grain spécifique où bien un concept particulier. L’album entremêle morceaux de haute qualité et morceaux mauvais, sans intérêt et mal produits (l’horrible Don’t Cry, Hittas, Start This Shit Off Right, Problems, Demon…).

En featuring, c’est quasi-systématiquement l’invité qui imprime son univers et son personnage dans le morceau. L’exemple le plus flagrant est le morceau Let it Fly, où Travis Scott, nettement en-dessous au niveau du skill pur, parvient quand même à éclipser Lil Wayne en s’appropriant totalement le concept et le morceau. Le couplet de Wayne, aussi bon soit-il, rompt abruptement, causant une transition moche et faisant limite tâche. Start This Shit Off Right, dont la production donne le sentiment que Carter V a en fait été commencé en 2004 voit Ashanti imposer sa vibe sur le son, vieillissant encore un peu plus le morceau avec ses intonations de petite chanteuse R&B des années 90s.

Il y a quand même quelques exceptions à la règle, notamment Dark Side of the Moon qui est une love song très réussie, chose assez rare venant de Wayne, qui nous avait habitués à des immondices guitarisées. Nicki Minaj nous livre ici la plus belle prestation R&B de sa carrière et une vraie osmose se créé entre les deux artistes. Indéniablement un des temps forts de l’album.

Une écriture fine

Mona Lisa est le haut-fait de l’album et le meilleur storytelling de la carrière de Lil Wayne. Le personnage central de ce morceau est la femme. Même si ce n’est pas évident à comprendre à la première écoute, Lil Wayne et Kendrick Lamar racontent deux histoires différentes. Lil Wayne campe le rôle du gangbanger qui dépouille grâce à une complice vicieuse et machiavélique, qui approche des hommes en feignant l’intérêt et la sympathie.

On comprend alors que Mona Lisa se réfère spécifiquement au sourire de la fameuse Joconde, dont la sincérité n’est pas établie.

« You know what it is put ur fucking hands up
Liz, that’s enough you can put your hands down »
« If Liz call you daddy, she about to be a bastard oh »

Lil Wayne agrémente son récit de nombreux jeux de mots et de clever lines, la manière dont il monte son histoire, mesure après mesure, est impressionnante, et supérieure dans le récit au couplet de Kendrick. Kendrick va lui, dépeindre sa Mona Lisa comme étant une femme infidèle qui trahit son conjoint en le trompant avec Lil Wayne. La haine, le dégoût et la tristesse se mélangent dans la voix et les intonations de K Dot, qui fournit un delivering et un flow à la fois rafraichissant et extrêmement qualitatif.

Carter V n’est bien entendu pas exempt d’egotrip, notamment dans Dedicate, Took His Time, et Dope New Gospel qui sont dédiés à sa grandeur et où il renouvelle son statut de best rapper alive. Deux choses sont à noter : Lil Wayne a cette fois choisi de ne pas créer de single radio. Et un effort appréciable a été fait par rapport à Carter 4, il y a très peu de punchlines jetables, ses métaphores, ses jeux de mots et son humour noir sont particulièrement appréciables (sans atteindre le niveau de C1 & C2). Le skill n’est pas délaissé, notamment dans Let It Fly où il dévore Travis Scott et dans Uproar, prestation néanmoins entachée par une instrumental horrible.

Malgré plusieurs points de chute et certains morceaux sonnant très cheap et datés, Tha Carter V offre de solides idées, histoires, lyrics et des guests au niveau. Néanmoins l’album est désorganisé et n’a pas de structure claire et identifiée, ce qui atténue un peu son effet et son impact. L’album aurait également gagné, non pas à être raccourci mais à être solidifié, thématiquement et musicalement. L’écriture est un peu moins punchy et plus facile qu’auparavant, tout en restant meilleure que tout ce qu’il a pu sortir ces 10 dernières années. Un retour réussi, en somme.

Tibbar
Tibbar
Do you fools listen to music or do you just skim through it ?
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