Mister V : (devenu) légitime ?

Du fait de son parcours atypique de « rappeur-youtubeur », Mister V est parfois critiqué, certains remettant en cause sa légitimité. Pourtant, force est de constater que le grenoblois a su trouver une place de taille dans le rap.

Légitimité et « Street-cred’ »

Le rap étant né dans la rue, et majoritairement pratiqué dans celle-ci, très vite, l’expression importée des USA « street-crédibilité » fait son apparition en France. Ce terme est utilisé pour désigner une personne (un rappeur dans la plupart des cas) crédible ou non aux yeux de la rue. Ce concept va prendre une place tellement importante, que la majorité des rappeurs parleront de rue, de crimes, d’illicite, et iront même jusqu’à grossir leur vécu pour paraître légitime aux yeux du public et de l’industrie. Cette attitude gangsta a longtemps été un argument de vente pour beaucoup de fans qui appréciaient cet univers et pouvaient même s’y identifier.

Cependant, les mentalités ont évolué et il s’avère que la street-cred n’est plus indispensable pour s’imposer dans le paysage rap et satisfaire le public. Rue et rap sont presque dissociés car beaucoup se lancent en ne revendiquant aucun vécu particulier (Big Flo et Oli, Roméo Elvis) ; certains rappeurs kickeurs provenant de la rue sont aujourd’hui perçus comme des artistes pop (Soprano, Gims) et des rappeurs autrefois fiers d’être banlieusards veulent à tout prix quitter la rue, si n’est pas déjà fait, comme l’illustrent de nombreuses phrases de différents artistes, souvent formulées de façon similaire : « J’suis pas un exemple et c’est dur à digérer, j’essaye de quitter la rue » (ZKR) ; « Faut quitter la street avant que ces fils de passent aux aveux » (DTF).

Cette évolution a tout de même fait émerger un débat autour de la légitimité, car même si le changement est indéniable, certains fans et rappeurs restent attachés aux principes d’antan et estiment qu’une personne sans vécu, qui n’est pas issue de la rue, n’a rien à faire dans le rap. C’est d’ailleurs ce qu’a déclaré Hayce Lemsi en 2020 lors d’une interview pour Tarmac. Ce même Hayce Lemsi qui était invité sur l’album de Mister V, Double V, trois ans auparavant. Cette contradiction est une preuve supplémentaire que le débat sur la légitimité des rappeurs est de moins en moins fondamental, et que le rap n’est plus uniquement un art de rue. C’est le pari que s’est lancé Mister V, en sachant qu’il devrait redoubler d’efforts pour se faire accepter, tant son histoire est originale.

Trajectoire astucieuse

Pour Mister V, la transition de l’humour à la musique a des allures de stratégie long-terme, si bien que le chemin a été accompli étape par étape sur plusieurs années. Yvick a toujours montré qu’il était passionné de rap et de RnB. Pour s’essayer à la musique et accessoirement donner de la visibilité à ses amis, il publie le morceau Bouche d’égout avec Laylow et son acolyte Sirklo qui formaient le duo LaylowxSirklo.

Ceci amorcera une initiative majeure : la création de la chaîne secondaire Mister V music en octobre 2013, qui sera un espace permettant à l’artiste d’allier musique et humour, en laissant parler sa créativité. De là, naissent les épisodes #SAPASSOUPA, des vidéos musicales rythmées par des séquences humoristiques. À ce jour, les trois premiers épisodes ne sont plus disponibles. Le plus ancien encore présent est donc le numéro 4, Le ride, marqué par un clip au cœur de Los Angeles, et qui est d’ailleurs le plus vu de la mini-série.

S’en suivent d’autres morceaux viraux et importants dans le parcours musical de Mister V, toujours avec le même schéma (clip musical accompagné de séquences humoristiques) comme Mia Frye (6.1M de vues), Party Night relou II (7M de vues) Planter les choux (9.4M de vues) et LAPT (13M de vues). Cependant, tous ces morceaux n’étaient pas vraiment pris au sérieux, par le public notamment. Pour les fans, Mister V alliait juste ses deux passions sur YouTube… jusqu’à une vidéo charnière, qui cumule aujourd’hui plus de 38M de vues : Rap VS Réalité. Postée en décembre 2016 sur la chaîne principale, la vidéo est une réussite, l’humour est imagé, décalé, Mister V propose des petits passages musicaux parodiés mais étonnamment bons, mais le plus important reste le message final qui dure littéralement deux secondes où il est communiqué « Ah oui au fait… Album Mai 2017… voilà. ».

Pendant environ un an, silence radio sur la chaîne Mister V music. Le retour s’effectue via le morceau Top album, single promotionnel pour son premier projet Double V.  Par la suite, d’autres morceaux du projet seront clippés et il y aura des morceaux purement single qui ne paraîtront nulle part, si ce n’est sur les plateformes ou encore sur le jeu NBA2K20 pour le morceau Saint-Laurent.

En fin de compte, quatre années de morceaux humoristiques ont permis à l’artiste de ne pas faire un saut dans le vide, de se chercher et de prendre confiance en lui pour ensuite se lancer dans la musique. Ce chemin choisi a permis au public de prendre du recul et de mieux appréhender la musique de l’artiste, mais malgré tous ces efforts, le premier album, disque d’or en deux mois, est assez décrié. Des remarques comprises par le principal concerné, qui explique lui-même qu’il est difficile de dissocier l’humoriste du rappeur.

La musique comme étendard

Le changement d’opinion concernant la carrière musicale de Mister V est logique, tant la progression entre le premier et le second album est fulgurante. Double V était un album expérimental, fait avec les moyens du bord, un processus expliqué par l’artiste avec « un micro et une carte son à 150 balles, une enceinte qui ne marche que du côté gauche, Géronimo Beats qui compose des mélodies avec un clavier de poche ». Ce premier projet est constitué de beaucoup d’egotrip, avec des instrumentales sonnant très trap, comme si la volonté première était de faire des bangers, et très peu de morceaux profonds. Le constat est similaire dans les paroles, où il reste toujours cette touche d’humour à certains passages comme sur le morceau « Space Jam ». Sur Double V, il y a en fait le sentiment que l’artiste se sent encore très humoriste et ne crève pas l’abcès pour aller au bout de sa créativité musicale.

Tout est chamboulé sur MVP où Mister V se met dans les meilleures conditions pour réussir. D’abord, il va s’entourer de personnes de confiance et capables de le faire progresser, comme par exemple son ami de toujours et rappeur Tortoz qui produit une majorité des morceaux de l’album. Au niveau des productions, Mister V n’a pas délaissé ses acolytes déjà présents sur Double V, Géronimo et Kezah, mais a néanmoins convié d’autres producteurs de talent comme DST, Hkey ou Kozbeatz qui ont respectivement produit des morceaux importants : Facetime portée par ses notes de piano mélancoliques ; Vice City et son B.P.M agréablement entrainant ; Tudo Bem et sa mélodie insufflant une certaine détermination. Il faut également souligner la présence du réputé NkF au mix et mastering, qui démontre la rigueur et les moyens mis en place pour proposer un album de qualité, et que l’évolution musicale entre les deux projets est nette.

Légitime par les faits

Sur MVP, Mister V a été épaulé par des confrères qui ont été respectueux et bienveillants à son égard. Malgré les débats autour de sa légitimité et une part du public perplexe, des rappeurs déjà installés et majoritairement appréciés comme PLK, Dosseh et Jul ont posé sur MVP. Sur la réédition de l’album, composée de six titres, même modèle : trois featurings avec de gros noms, Gazo, Naza et Laylow. Cette démarche généreuse de ces quelques têtes d’affiche du rap français, prouve que Mister V est à présent validé, peu importe à quoi il est associé. Les rappeurs respectent sa démarche.

Mister V est donc un artiste approuvé par plusieurs de ses pairs, mais aussi par le public. Ce dernier, après avoir été partiellement sceptique après la sortie de Double V, a assez majoritairement validé l’artiste avec MVP.

Certes, la légitimité peut poser un problème à certains auditeurs, et se posera toujours pour des artistes au vécu assez éloignés de la culture hip-hop (ce qui a d’ailleurs donné naissance au terme de « rap de iencli »). Cependant, le rap n’a jamais été aussi présent et puissant qu’aujourd’hui. Le monde, l’art, la musique et donc le rap évoluent inévitablement. De ce fait, plein d’artistes talentueux, venant de n’importe quel milieu, se lancent et font vivre cet art au jour le jour. Oui, Mister V ne vient pas de la rue mais d’Internet, il a néanmoins su construire sa carrière de rappeur. Il en connaît les codes et a su les appliquer idéalement pour finalement s’imposer.

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