Osirus Jack – Tsar Noir

Critique

« Tu pars en croisière j’pars en quête » annonçait Osirus Jack sur Ron Von Clief, intro du précédent projet Nouvelle Ère. Espéré par les fans et teasé par le principal intéressé, le dernier épisode d’une trilogie entamée en 2019 avec Nibiru est enfin sorti… Plus de deux ans après Nouvelle Ère – le deuxième opus. Attendu par les aficionados d’Osirus comme la pièce finale du puzzle, mais aussi par les auditeurs les moins assidus, le Tsar Noir (comme le principal intéressé se fait appeler) devait confirmer son statut de découpeur de prods. Et consolider sa fanbase grandissante dans une quête déjà bien entamée. Car, après tout, comme il le dit texto dans l’intro :

« 2024 c’est plus l’heure de rire »

Killuavie

Un art maîtrisé

Habitué aux références ésotériques et aux gimmicks abscons, Osirus ne déroge pas à la règle ici. Durant treize titres, l’auditeur a l’impression d’être confiné avec le Tsar Noir dans une pièce à l’ambiance lugubre, ce dernier lui exposant méticuleusement les dessous du monde qui l’entoure. Le spectre des références proposées allant du MMA aux hommes politiques les plus controversés, en passant par les plus grosses fortunes de la planète : il est difficile pour les nouveaux arrivants de saisir aux premières écoutes le message qu’Osirus tente de faire passer. Néanmoins, en explorant dans Tsar Noir une autre facette du « complotisme » (si tant est qu’il s’en agisse parfois) en s’attardant davantage sur les hautes sphères du pouvoir, Osirus a su diversifier son corps pour ne pas ennuyer les habitués, sans toutefois changer le cœur de ce qui fait le charme de sa recette.

Rap politisé

En signant Tsar Noir, Osirus Jack a également développé un aspect important de sa musique : la facette rap conscient. Cette dernière a pu être manquée de vue par les auditeurs par le passé en raison du fait qu’elle ait été noyée dans des références complotistes obscures qui édulcoraient son essence. Ainsi en posant « Lumumba (homme politique Congolais assassiné) pas Descartes (philosophe français des Lumières) » ou « Un doigt pour G. Meloni (Première ministre italienne d’extrême droite) » dans OSS, on sent la volonté du rappeur de clairement prendre position.

Il sera ici difficile de commenter Tsar Noir sans prendre le temps d’apprécier l’osmose entre Osirus et désormais son beatmaker « affilié » C2S. Travaillant ensemble depuis le premier morceau du premier album Nibiru, et même avant, il était déjà possible de sentir une certaine alchimie entre les deux sur les projets précédents. Étant à la baguette sur huit morceaux, le progrès de C2S s’est clairement fait ressentir. Ce n’est sûrement pas un hasard si cela correspond au fait que Tsar Noir soit le projet le plus abouti et le plus cohérent d’Osirus. Ponctuant l’album de moments forts, tels que Sous-marin et sa prod boom-bap qui pue le découpage époque Q.B, il sera compliqué à l’avenir de se souvenir du projet sans se remémorer l’empreinte laissée par le beatmaker.

« Chaque track c’est une patate de Mike ou Ali »

En écoutant Tsar Noir, il était légitime de s’attendre à un découpage de prods en série comme Osirus a l’habitude – un de ses surnoms n’est-il pas « Jack l’Éventreur » après tout ? Toutefois le niveau affiché tout au long de l’album se distingue de ce que l’artiste avait pu montrer auparavant.

En effet, le projet s’ouvre parfaitement jusqu’à OSS et se clôt aussi bien grâce au triptyque de fin. Avec au milieu plusieurs morceaux très bien rappés (Lyoto Machida ou le feat avec Alpha Wann qui a gardé ses promesses, quoiqu’un poil décevant). Ces derniers maintiennent les oreilles de l’auditeur dans l’atmosphère du projet, façon waterboarding à Guantanamo – pour filer les thèmes abordés dans l’album. Ainsi est évité le ventre mou dont souffrait Nouvelle Ère.

Les morceaux qui retiendront sûrement l’attention du public aux premières écoutes seront l’intro Killuvie, dans laquelle l’artiste livre un couplet unique (sur une prod de Flem) qui annonce les ambitions. Vacillant entre phases d’égotrip, piques lancées au gouvernement et line aux références chaque fois plus obscures que la précédente, le tout livré sur fond d’ambiance guerrière avec une voix pleine de résolution, Osirus dévoile la couleur abruptement.

Le meilleur pour la fin

Également, l’enchaînement du trio de fin Sous-marin, Neuralink et Nicholas III est un gros temps fort du projet. Navigant entre prod boom-bap old school sur le premier, featuring remarqué du fait des thèmes évoqués sur le deuxième, et outro dans laquelle Osirus manie schémas de rimes et placements avec une étonnante dextérité sur un ton nonchalant, le projet se clôt aussi bien qu’il a commencé.

Par ailleurs, dans le prolongement de cette fin d’album, il convient de saluer le travail fourni sur le bonus track Jacarezinho avec encore une fois un C2S en forme. Rejoignant le panthéon des morceaux bonus ayant tout à fait mérité une place dans le projet, le niveau de rap qui y est proposé est – encore une fois – phénoménal avec un kickage violent sur fond de schémas de rimes mariant les assonances.

Un plafond de verre ?

Dans son tonitruant couplet posé sur Pyramides (le feat avec Django, 2020), Osirus annonçait « tu m’as jamais vu au maxi mode ». Quatre ans et deux albums plus tard, force est de constater que le Tsar Noir approche de sa forme finale dans une apogée déjà approchée. Cependant, quelques écueils persistent toujours parmi lesquels la sensation de déjà-entendu sur certains morceaux. Prenons le cas de 5000L : bien que convenablement rappé et cochant toutes les cases du cahier des charges d’un bon morceau made in Osirus, il est difficile de mettre de côté l’impression d’avoir déjà entendu ce flow désinvolte, avec des placements devenus prévisibles. Pierre d’achoppement sans doute inhérente à la formule proposée par le principal intéressé : mutatis mutandis, celle proposée par Freeze Corleone souffre de critiques similaires.

Autre critique davantage centrée sur l’album pouvant également être légitimement avancée : la disparition des passe-passes. Il est effectivement regrettable qu’Osirus n’ait pas opté pour ses passe-passes dont lui seul a le secret, surtout quand il s’agit de ses frères d’armes de la Secte. Ainsi Connecté en collaboration avec Slim C : bien que jouissant d’une prod sur-mesure, la construction classique du morceau (couplet A ; refrain ; couplet B) dénote avec ce que les deux sont capables de proposer. Pensons à All Blackz part. 3 sorti en 2023 dans lequel l’exercice du passe-passe est remarquablement maitrisé, offrant une réelle plus-value à la réécoute. Idem concernant Neuralink avec son comparse Chen Zen.

En attente d’une onde de choc

Tsar, dérivé du latin Caesar, désignait le « basileus » autrement appelé le monarque d’Orient. Ainsi avec cet album clôturant la trilogie entamée en 2019, Osirus Jack et C2S ont tenu à la parachever par un couronnement symbolique venant ponctuer cinq années de montée en puissance et de travail acharné. Ayant trouvé son public avec une identité musicale singulière malgré les défauts qu’elle comporte, l’un des plus anciens rappeurs de la LDO peut se targuer d’avoir délivré un trio d’albums – tous quasiment entièrement rappés – de haut vol. Chaque projet se hissant dans le top albums rap de l’année où il est sorti. Sur ces succès répétés et un niveau tutoyant constamment les hautes sphères, il ne reste qu’à Osirus de revenir plus fort à l’avenir en délivrant le classique dont il est capable et qui manque encore à une discographie déjà bien étoffée.

Ylian
Ylian
Un Marocain trop calme comme on n'en fait plus
« Tu pars en croisière j’pars en quête » annonçait Osirus Jack sur Ron Von Clief, intro du précédent projet Nouvelle Ère. Espéré par les fans et teasé par le principal intéressé, le dernier épisode d’une trilogie entamée en 2019 avec Nibiru est enfin...Osirus Jack – Tsar Noir