Peut-on toujours parler de « retard » du Rap Français ?

Souvent considéré comme « à la traîne » en terme d’innovation par rapport à son grand frère américain, le rap français semble aujourd’hui de moins en moins courir après son aîné. Des mots comme ceux prononcés par Booba en 2008 « J’ai ramené l’autotune en France » sembleraient presque grotesques aujourd’hui tant les tendances circulent d’un côté à l’autre de l’Atlantique en moins de temps qu’il n’en faut pour s’en apercevoir. Mieux encore, ces dernières années le rap français semble s’être créé peu à peu une dimension «parallèle» sur la carte du rap mondial.

Dans une interview récente pour la radio Mouv, DJ Weedim – connu en France pour son travail en tant que beatmaker pour des artistes comme Alkpote mais aussi comme un DJ très au fait de ce qui se passe aux États-Unis et particulièrement à Atlanta – était interrogé par l’animateur sur le prétendu « train de retard des français sur les cainris ». Accompagné ce jour-là des jeunes rappeurs Eden Dillinger P-Dro et Captaine Roshi pour la promo de son projet «Boulangerie Française», DJ Weedim balaye la question, rejoint par toute la table qui s’accorde à dire que le rap français n’a plus rien à envier à ses homologues américains. Un point de vue qui diffère de ce que l’on a longtemps pu entendre sur le sujet et surtout qui est porté par une jeunesse qui n’a plus aucun complexe vis-à-vis du rap US.

LA SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE

Historiquement beaucoup s’accordent à dire que le rap français a toujours eu une place un peu à part sur l’échiquier du rap mondial. Sur le site anglophone rateyourmusic.com, qui regroupe des milliers d’avis et critiques d’albums classifiés eux mêmes en différents genres/sous-genres, le Rap Français (French Hip-Hop) est le seul sous-genre du hip-hop établi comme tel sur sa seule spécificité de langage (avec le hip-hop Japonais mais pour des raisons bien différentes).

Présenté comme le deuxième plus grand marché de rap au monde, il est annoncé comme ayant rapidement affiché des caractéristiques différentes du hip-hop « global » de par une spécificité de ses influences, qui empruntent à la fois à la chanson française et aux musiques (Nord) Africaines, quelque chose qui tranche nettement avec les influences afro-américaines ou caribéennes dans lesquelles puise le rap américain. Le rap français est aussi décrit comme présentant dans ses paroles un aspect social et politique plus important que dans d’autres pays. Locomotive du rap Européen (ou non-anglophone), le rap français dispose donc depuis ses débuts d’une place bien particulière à l’échelle du rap mondial.

UN PAYSAGE FRANCOPHONE DE PLUS EN PLUS RÉACTIF

Malgré cette spécificité française, l’idée d’un retard du rap français sur le rap américain a très souvent rassemblé auditeurs comme journalistes. Difficile de ne pas leur donner raison, les exemples fleurissent d’artistes français qui doivent leur inspiration première, parfois leur carrière, à des rappeurs américains. On pense à toute cette vague de la fin des années 90/début 2000 très largement influencé par le rap New-Yorkais ou un groupe comme Mobb Deep a laissé son empreinte sur toute une génération de rappeurs parisiens.

Malgré cette tendance globale à la copie ou à l’adaptation de ce qu’il se passe de l’autre côté de l’Atlantique, il est intéressant de noter qu’au fil du temps l’écart s’est peu à peu réduit, l’échelle de temps pour qu’une tendance passe des États-unis à la France étant de plus en plus courte. En 2007 des artistes comme Rohff ou Booba s’essayent au Dirty South quelques années après que le genre ait commencé à prendre d’assaut le sud des États-Unis. Rebelote en 2012 en pleine effervescence de la scène Trap et Drill à Atlanta et Chicago, c’est Kaaris qui exporte la tendance avec seulement quelques mois de retard. On remarque que comme pour l’autotune il y a ce besoin d’un « briseur de barrière » quelqu’un qui se décide à franchir le pas et emmène avec lui toute une génération qui n’attendait qu’une chose : le changement.

LE RAP FRANÇAIS DANS UNE NOUVELLE DIMENSION ?

Depuis quelques années et parallèlement à l’explosion commerciale du genre en France, le rap français semble avancer à son propre rythme qui n’est plus nécessairement calé sur ce qui fonctionne aux États-Unis. Bien sur la Trap, qui reste le courant dominant actuellement, n’a pas été inventée à Mantes-la-Jolie mais on parle là d’un genre musical massif qui a infiltré toutes les couches de l’industrie musicale, jusque dans la Pop et dans l’EDM, difficile d’en tenir rigueur donc. On pourrait plutôt s’enorgueillir qu’un groupe comme 13 Block soit l’un des seuls en France à être considéré comme faisant de la trap « à l’américaine ».

Plus que de ne plus être à la bourre, les rappeurs français réussissent plus que jamais à se réapproprier des tendances de fond et à les exporter. On pense évidemment à MHD et son afro trap ou à PNL et sa recette qui a séduit le monde entier jusqu’à Drake qui souhaitait remixer l’un de leurs morceaux. Pas anodin que ces artistes soient également les deux derniers rappeurs non anglophone à avoir reçu une invitation pour jouer à Coachella, festival musical le plus populaire au monde. Tout cela contribue à faire du rap français un espace de plus en plus « affranchi » du rap américain, confirmant son autonomie à coup de featuring avec Ninho ou Booba plutôt qu’avec un Future ou un Rick Ross, le public français étant au final beaucoup plus friand de collaborations entre artistes locaux.

Comme l’affirme DJ Weedim et beaucoup d’autres, on peut donc raisonnablement penser qu’aujourd’hui le rap français n’a plus à rougir, à son échelle, face au rap américain. Cela grâce à une réactivité de plus en plus grande sur les tendances musicales et le travail de certains artistes/beatmakers qui se sont efforcés ces dernières années de faire de la musique nouvelle et exportable. L’effervescence créative et commerciale dans laquelle se trouve le rap français depuis la moitié de cette décennie lui permettant désormais d’avancer à son propre rythme.

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