6 tendances qui bouleversent le rap français et l’industrie musicale

Cet article est inspiré d’un article de recherche (de l’entreprise MIDIA) sur les tendances qui sont en train de remodeler l’industrie de la musique. Il s’agit ici d’adapter cette étude à la scène de rap français – francophone en réalité – qui illustre bien les tendances majeures dans l’industrie musicale mondiale.

Sommaire :

  1. La diminution de l’importance de la radio au profit du streaming
  2. Les « label services » (ou labels fournisseurs de services), révolution dans la distribution musicale
  3. Une diversification des acteurs sur le marché qui perturbe l’équilibre économique de l’industrie
  4. La globalisation, jusque dans les choix musicaux des consommateurs
  5. Des maisons de disques qui n’arrivent à gérer que les sorties les plus récentes
  6. EP, album, mixtape ?

1) La diminution de l’importance de la radio au profit du streaming

Tendances musiques 2019

À chaque époque son bouleversement musical. A l’ère des vinyles et de la radio a succedé celle des cassettes (puis CDs) et des clips vidéo. C’était déjà l’occasion pour les artistes eux-mêmes de produire une œuvre à partir de ce changement radical : en 1979, The Buggles sortent le morceau « Video Killed The Radio Star » qui ironiquement est le premier clip jamais diffusé sur MTV.

MTV, média qui avait su s’imposer comme media de masse hip hop.

Mais c’est face à un autre adversaire que la radio et la télévision musicale font face aujourd’hui : le streaming.

Les radios rap continuent d’exister mais sont en retard et à moins d’avoir des exclusivités ce sera toujours le cas. Car les morceaux qui entrent en playlist sont déjà au sommet des charts streaming depuis plusieurs semaines.

Exemple dernièrement avec l’entrée en playlist des morceaux « Maman ne le sait pas » de Ninho et Niska et de « Dale » de Hamza et Aya Nakamura le 18 avril 2019 alors que l’album Destin de Ninho est sorti le 22 mars 2019 et l’album Paradise de Hamza est sorti le 1er mars 2019.

Cette stratégie de promotion de la musique ne semble plus adaptée à un monde où les streams d’un album sont scrutés dès la première semaine voire la première journée après la sortie. Par ailleurs, difficile pour une radio de s’affirmer comme source de découverte pour l’auditeur si elle passe des morceaux que celui-ci connaît depuis des semaines et sur lesquels il a déjà un avis construit.

De plus, question pratique, le lien par excellence d’écoute de la radio, la voiture, s’est assez modernisée avec le temps pour que l’on puisse écouter en bluetooth ou avec un câble auxiliaire la musique de son choix.

Tout semble réuni pour laisser le streaming prendre la place qu’avait la radio à l’époque, rôle de vecteur de découvertes musicales et support de musique en général. Voilà pour le référentiel strictement rap français.

En règle générale, MIDIA nous apprend que les auditeurs de la tranche d’âge « jeune » délaissent la radio pour le streaming de manière très nette : seulement 39% des 16-19 ans écoutent la musique à la radio tandis que 56% utilisent YouTube – service de streaming au demeurant. Quand on sait qu’environ la moitié des personnes de cette tranche d’âge écoutent du rap, le streaming semble faciliter l’avancée du rap comme style de musique écouté par le plus grand nombre, et réciproquement. De plus en plus de personnes se tournent vers le streaming et parmi ces personnes beaucoup ont un goût prononcé pour le rap.

Stats rap

Source : Statista

2) Les « label services » (ou labels fournisseurs de services), révolution dans la distribution musicale

Logo musicast

Lors de leur carrière, les artistes ont différentes options à leur disposition.

Ils peuvent démarcher (ou être démarchés par) de grandes maisons de disque qui leur apporteront un certain confort financier, ainsi qu’une distribution et une équipe marketing efficace. De plus, si la maison de disque fait de l’artiste quelqu’un d’important dans leurs prévisions, les moyens qui seront alloués à sa distribution seront presque illimités.

C’est ce que choisissent la majorité des artistes ; artistes qui parfois se retrouvent incapables d’expliquer la direction artistique choisie par leur label, comme on l’a vu avec Koba LaD pendant la promotion de l’album VII chez Clique où il n’a clairement pas su répondre à la question des interviewers sur l’histoire de sa pochette.

Mais d’autres artistes ont pris le parti d’éviter à tout prix les maisons de disques ; vous savez déjà de qui je parle… PNL et Jul ont plusieurs points communs : une identité musicale facilement identifiable (leur musique ne ressemble à celle d’aucun autre avant eux), la création de fanbases extrêmement ferventes et fidèles, assez peu de volonté de créer des personnages mais plutôt d’être eux-mêmes et laisser la magie opérer et évidemment l’utilisation de Musicast et seulement Musicast pour distribuer leur musique.

QLF records

Musicast, comme Kobalt, est un label fournisseur de services ; c’est-à-dire que contrairement à un label classique qui prendrait en charge tout l’aspect promotionnel, proposerait des avances et distribuerait la musique, un label fournisseur de services se contente d’apporter un des éléments à l’artiste. Cela permet à l’artiste de faire appel à différentes personnes pour chaque aspect de leur carrière : direction artistique, enregistrement, distribution… Financièrement, l’artiste ne reçoit pas d’avance mais sera simplement sous contrat avec le fournisseur de services et gardera droit de propriété sur ses droits d’auteur et une bonne part des revenus (70%).

Label Jul

Pour de jeunes artistes, prendre un tel parti est un risque mais à terme, s’ils connaissent le succès, c’est financièrement extrêmement intéressant car l’argent que réclame un distributeur est bien moins élevé que celui touché par la maison de disque. Enfin, rester en indépendant sur les aspects qui font l’identité de l’artiste peut faire partie de son image : on aurait du mal à imaginer Jul sans son propre label D’or et de platine ou bien encore PNL sans leur label indépendant QLF Records. La création de ces structures leur a aussi permis de signer des artistes dont ils sont proches dans la vie – on pense à DTF, signés chez QLF records. Cette image d’artiste en marge de l’industrie ne peut qu’être bénéfique dans une stratégie commerciale comme celle de Jul et PNL où l’authenticité prône.

3) Une diversification des acteurs sur le marché qui perturbe l’équilibre économique de l’industrie

Sony music Spotify

Avec l’arrivée d’acteurs de distribution et l’expansion du streaming, chaque partie de la chaîne de production et de distribution va réclamer sa part du gâteau ce qui peut créer des problèmes. En effet, comment évaluer qui mérite le plus d’argent entre la personne qui a permis l’enregistrement, celle qui a permis la distribution, celle qui a dirigé artistiquement le projet, les commissions perçues par les services de streaming ?

Face à cela, des acteurs adoptent des stratégies offensives. C’est le cas du service suédois de streaming Spotify qui souhaite s’affirmer dans l’industrie sans créer de label – ce serait trop évident face aux géants du monde de la musique – mais en engageant des négociations directes avec les artistes. Ils proposent ainsi des contrats de licence aux artistes qui n’ont donc plus besoin de passer par les labels pour être distribués sur la plateforme de streaming. Dans une démarche dans le sens opposé on a pu voir Sony Music – maison de disque – développer son propre service de streaming, nommé mora qualitas (au Japon).

On peut donc s’imaginer une industrie chamboulée par ces batailles entre acteurs qui souhaitent chacun empiéter sur le terrain d’un autre.

4) La globalisation, jusque dans les choix musicaux des consommateurs

globalisation rap

Cet été, impossible de passer à côté du tube international d’Aya Nakamura « Djadja » en France ; mais pas seulement ! Certifié diamant en France, le single a atteint des sommets aux Pays-Bas où il a été certifié double Platine, en Belgique où il a été certifié Platine, en Suisse où il a été certifié Or. Ce phénomène est globalisé : l’émergence du reggatòn a l’échelle mondiale l’a aussi montré (Despacito, X de Nicky Jam et J. Balvin…), et créé des collaborations Etats-Unis/Porto Rico : I Like It de Cardi B et Bad Bunny, Taki Taki, MIA de Drake et Bad Bunny.

Aujourd’hui l’industrie est donc plus diversifiée : les artistes étasuniens et anglais ne sont plus les seuls à truster les classements mondiaux. On a même pu voir des statistiques où la musique indienne était aussi haut placée dans le top Spotify que dans le top T-Series (service de streaming indien).

Enfin, et on l’a déjà vu sur Thésaurap, les scènes locales de rap autour du monde sont de plus en plus efficaces : que ce soit aux Pays-Bas avec le collectif SMIB (Ray Fuego, Yung Nnelg…), en Allemagne (Luciano, Edo Saiya…), en Belgique (Hamza, Damso, Krisy…), en Suisse (Makala, Di-Meh, Slimka, Danitsa, Varnish la Piscine), en Italie (Sfera Ebbasta, Ghali…) ou bien encore au Maroc (Shayfeen, Madd, El Grande Toto…).

Le double mouvement d’expansion de musiques locales à l’étranger et de diversification des styles au sein même d’un pays font que l’industrie est dans une véritable révolution. Et aujourd’hui, au sein même des festivals rap on peut trouver des articles de différents pays : on note la présence d’à la fois des belges Caballero et Jeanjass et des artistes marocains Shayfeen et Madd au festival Chorus à Boulogne-Billancourt (92) (en plus de nombreux artistes français) ou bien au festival Belge Les Ardentes à venir (juillet 2019) avec le rappeur italien Sfera Ebbasta, le rappeur belge Lord Gasmique, Shayfeen et Madd (en plus de nombreux artistes français, étasuniens et belges).

Enfin ce qui est nouveau dans tout ça c’est que les individualités se rencontrent : au lieu d’avoir des artistes de partout dans le monde qui font sensiblement la même chose, parlent anglais pour s’exporter – comme on pouvait l’observer dans l’EDM (electronic dance music) au début des années 2010 – chaque pays apporte une touche d’originalité. Comment ne pas penser également au succès de l’artiste espagnole Rosalìa qui, sans s’identifier à une case mainstream précise dans la musique – faisant une fusion entre le flamenco et des accents r & b – a connu un succès phénoménal avec son album El Mal Querer en 2018.

Le comble est que parfois, des influences étrangères s’immiscent dans les musiques locales : tout ce que l’on résume à de la « pop urbaine » actuellement en France (Aya Nakamura, Marwa Loud, Lartiste, Elams, Maes, Dadju…) est en fait empreint d’influences Afrobeats ou Reggaetòn sans faire exactement ces deux genres. Idem au Royaume-Uni avec la scène afroswing où des artistes comme Not3s, J Hus, Yxng Bane, Hardy Caprio ou encore Mostack connaissent un grand succès.

5) Des maisons de disques qui n’arrivent à gérer que les sorties les plus récentes

Maisons de disque

Il est avancé dans l’article que les stratégies liées au « catalogue » dans les maisons de disque sont de plus en plus inadaptées.

Mais d’abord, c’est quoi cette histoire de catalogue ?

Alors le catalogue c’est assez simple : c’est tout ce qui, au sein d’un label, est sorti il y a plus de dix-huit mois. A l’opposé, les projets les plus récents sont les projets « frontline »
En somme, les projets frontline servent à créer de la demande et les maisons de disque y allouent une grande partie de leur budget marketing alors que les projets du catalogue répondent à la demande créée auparavant et sont donc délaissés niveau budget marketing. C’était une stratégie viable jusqu’aux années 1990, l’apparition du CD, car les consommateurs achetaient en masse un 33 tours à sa sortie puis n’y revenaient pas.

Or, avec l’apparition du CD en 1991, beaucoup décidèrent de racheter des projets une deuxième fois pour l’avoir au format CD. Un tel événement, opposé à la stratégie habituelle d’une maison de disque présageait ce qui arriverait 20 ans plus tard : pour être rentable, un album doit viser le long terme et la maison de disque doit l’accompagner dans cette démarche. Gary Kelly de la maison de disque Interscope va jusqu’à dire que pour être au sommet, la course à effectuer est bien un marathon et non un sprint.

En France et dans l’univers du rap/pop, c’est (Maître) Gims qui vient illustrer le phénomène avec 3 albums (Subliminal en 2013, Mon cœur avait raison en 2015, Ceinture Noire en 2018), tous certifiés disque de Diamant. De tels succès ne s’expliquent pas seulement par la capacité de la musique de Gims en elle même à conquérir un public large ; c’est aussi le fruit d’une vraie stratégie marketing qui visait à faire durer les albums le plus longtemps possible – exactement comme Bruno Mars qui a réussi à faire durer son album 24K Magic de 2016 à 2018 en sortant les singles 24K Magic en 2016, That’s What I Like et Versace on the Floor en 2017 et Finesse / Finesse Remix ft. Cardi B en 2018.

Chez Gims, même stratégie et la tactique pour le prochain album Transcendance a déjà commencé avec la sortie du single Miami Vice en mars 2019.

Mais cette stratégie ne peut pas convenir à tous et particulièrement dans le rap français où les injonctions à être prolifique sont incessantes. Les artistes préfèrent se rabattre sur un modèle productiviste plutôt que de miser sur la qualité et la durée de leurs albums. Les exemples sont nombreux mais les exemples de RK et Koba LaD dont les ascensions ont été fulgurantes l’ont montré : chacun ont sorti un album en 2018 puis en 2019 sans trop faire attendre un public avide de nouveautés. Agir comme cela en tant qu’artiste peut à terme compromettre la qualité vis-à-vis de la quantité.

6) Un running gag : EP, album, mixtape ?

Drake more life

La question du format est aujourd’hui si débattue que finalement elle n’intéresse plus personne : après tout, si Drake a décidé en 2017 que More Life était une playlist et non un album, qui peut le contredire ? L’avantage d’une telle qualification était bien sûr de contrecarrer toute remarque sur le manque de cohérence d’ensemble du projet, contrairement à des albums comme Take Care ou Nothing Was The Same.

En réalité, aujourd’hui, chaque artiste peut choisir d’identifier son projet sous différentes étiquettes. Lorsqu’il sort le projet 1994 en 2017, Hamza sort en réalité une mixtape malgré les airs d’album du projet ; ce n’était que pour mieux avancer un projet soumis à une direction artistique d’ensemble en 2019, l’album Paradise. Le schéma classique reste celui d’un enchaînement entre des mixtapes, pourquoi pas un EP entre temps, puis un album une fois le contrat en maison de disque signé ou une fois la reconnaissance du public acquise.

Mais depuis la jurisprudence More Life, pourquoi ne pas imaginer des projets en fonction de l’humeur de l’artiste ou simplement un ensemble de titres, sans recherche de cohérence d’ensemble ou de direction artistique particulière, projets qui seraient donc des playlists avec peut être des interludes au milieu et qui ne seraient plus vendus en physique ? L’avenir le dira mieux que toute prédiction mais cela reste relativement envisageable ?

Si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez en savoir plus, j’ai regroupé les sources qui m’ont permis d’écrire l’article.

Sources :
https://www.musicbusinessworldwide.com/music-industrys-definition-catalogue-need-upgrade/
https://musicindustryblog.wordpress.com/2019/04/03/10-trends-that-will-reshape-the-music-industry/
https://www.imusiciandigital.com/fr/label-services-un-nouveau-modele/
https://www.musicbusinessworldwide.com/spotify-doing-a-netflix-is-daniel-eks-service-too-big-for-the-labels-to-stop-it/
https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/comment-spotify-tente-de-court-circuiter-les-labels-133537
https://www.vice.com/en_us/article/qvq9yb/afroswing-afrobeats-essay-industry

hernameisines
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Mixologue

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