Pourquoi la création de Victoires du Rap est une mauvaise idée

Dans une interview accordée au Parisien, le rappeur Fianso annonçait travailler sur les « Victoires du Rap ». S’inspirant des Victoires de la Musique, le but serait ici de créer une cérémonie de récompenses exclusivement à destination des rappeurs. Sofiane annonce notamment avoir contacté plusieurs entreprises telles que Havas ou Vivendi.

Ce show serait donc une remise des pendules à l’heure concernant le rap, genre musical ayant pris au fil des années une importance monstre et étant malgré tout souvent ostracisé ou mal représenté. On se rappelle notamment de la réaction de Booba qui, en 2011, avait refusé de se rendre aux Victoires de la Musique bien que son album Lunatic fût nominé.

Et qui de mieux que Fianso, père rassembleur du rap français, créateur des concepts Rentre dans le cercle ou l’album 93 Empire pour présider ces Awards ? Si l’intention est extrêmement louable, elle se heurte dans les faits à plusieurs obstacles.

1) Quelle audience ?

Qui dit Victoires du Rap, dit télévision. C’est le minimum requis si Fianso souhaite proposer une cérémonie à la même échelle que celle dont il souhaite s’affranchir. Or, le passage par la case télévision revêt d’importantes questions : pour quelle audience ? sur quelle chaine de télévision ? enregistré à quel endroit ?

« Pour quelle audience ? » Cette première question définira toutes les autres. La question de l’audience est primordiale et c’est en ce sens que le concept de Victoires du Rap est assez fébrile : l’audimat rap n’est pas un aficionado de la télévision. C’est constatable avec les chiffres d’audience de chaines télé estampillés rap comme OFIVE ou OKLM TV qui connaissent des succès assez confidentiels.

En choisissant de restreindre son offre au rap, les Victoires du rap prendraient le contrepied des Victoires de la Musique, cérémonie qui va au contraire, ratisser large et toucher tous les genres musicaux afin d’attirer le plus de téléspectateurs possible. De cette question d’audience découle le reste : plus le potentiel public est important, plus le nombre de chaines de télévision intéressées sera important.

2) Tensions entre rappeurs

Nous en avons encore eu un exemple récemment avec l’altercation physique ayant opposée Joke à Kekra : le rap est un genre musical plus frontal et direct que les autres, où les conflits entre rappeurs s’y font plus courants. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer qu’un rappeur A n’apparaisse pas sur l’album de rappeur B : car celui-ci est en conflit avec rappeur C, l’ami du rappeur A…

Ces conflits étirés prennent une part assez tentaculaire dans le rap français et expliquent pourquoi des featurings n’auront jamais lieu, même entre 2 MCs ne s’étant jamais brouillés. Le but d’une cérémonie de récompenses étant de viser à l’appréciation critique et commerciale de manière objective et neutre, nul doute que nous pourrions en arriver à des situations telles que : Booba et Rohff nominés dans la même catégorie.

Les risques : boycotts de rappeurs, qui constituent pourtant tout l’intérêt de la cérémonie. Ou bagarres en chaine. Ces boycotts biaiserait le concept même du show, le rendant biaisé car excluant. Tandis que les bagarres rendraient carrément le concept même du show infréquentable pour les annonceurs et les chaines de télévision.

3) Public immature

Si vous supposez que l’ambiance sera plus festive que pour d’autres cérémonies plus « institutionnelles » telles que les Césars ou les Victoires de la musique : détrompez-vous. Cela n’est d’ailleurs pas une si mauvaise chose que cela, les live étant plus calibrés pour les téléspectateurs que pour les spectateurs. Ce ne sera pas un concert géant et ce n’est pas ce à quoi il faut s’attendre en visionnant un tel show.

Là où le bat blesse, c’est plutôt au niveau de la tenue même du public invité. Cela a pu se constater aux Trace Awards, où le public n’a pas hésité à conspuer ou huer un rappeur lauréat n’étant pas à son goût.

4) Créé par Sofiane

Malgré son côté rassembleur, le fait que cet événement soit géré 1) par un rappeur 2) par Sofiane peut générer un parfum de conflits d’intérêt. De la même manière que Mehdi Maïzi fût critiqué pour ses interventions sur OKLM Radio et le possible conflit d’intérêt que ceci peut engendrer pour un journaliste rap, Sofiane peut également créer du remous.

Fondateur du label Affranchis Music, Sofiane gère une panoplie de rappeurs et peut (à tort comme à raison) porter le discrédit sur le show. Les réactions devant une panoplie de rappeurs liés à son label qui seraient nominés seront à coup sur, plus qu’audibles. Une cérémonie organisée par une entité non-neutre et étant même partie prenante du rap peut porter le discrédit sur la cérémonie et ses nominations/récompenses.

Habité de nobles intentions, Sofiane se heurte toutefois à plusieurs murs, inhérents au rap. Les multiples égos jouxtant le rap rendent pour l’instant tout mouvement de cohésion quasiment impossible. Quant à Sofiane, il est à la fois le problème et la solution.

Tibbar
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Do you fools listen to music or do you just skim through it ?

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