Lala &ce – SOLSTICE

Critique

À l’occasion de son apparition dans le palmarès du Prix Joséphine 2024, Lala &ce a été invitée à performer sur scène deux morceaux de son projet SOLSTICE, qui a retenu l’attention du jury, et à s’exprimer lors d’un court entretien qui fait le point sur sa démarche. Près de neuf mois après sa sortie, il est temps de revenir sur ce qui fait la force de cet album.

Une immersion efficace et complète

Bien que Lala soit une rappeuse expérimentée, elle considère elle-même lors de l’entretien avec les animatrices de la cérémonie que ses précédents projets se rapprochent plus de compilations que d’album studio, car le processus de production n’y ressemblait pas. SOLSTICE naît d’une volonté de produire une œuvre autonome, cohérente et aboutie, qui se tient de bout en bout, d’où sa longueur relative et ses différents skits. Lala &ce y propose un fil rouge clair et une production assurée presque intégralement par Phazz, chef d’orchestre qui s’assure de la cohérence sonore de l’ensemble des morceaux.

SOLSTICE nous plonge dans une dystopie dirigée par « la ligne », organisme totalitaire qui appelle au conformisme et effraie pour contrôler plus aisément la population dans chaque aspect de sa vie. Traduite en musique, les sonorités futuristes et parfois inquiétantes plongent sans difficulté dans l’archétype orwellien que mobilise l’artiste. Comme TRINITY, une entité féminine et digitale (décelable à son timbre) sert de compère et de love interest à Lala pour étoffer une narration élaborée. La découverte d’éléments comme la radio d’État ou l’agitation urbaine appuient la crédibilité de cet univers pourtant à peine explicitement esquissé, et quelques transitions travaillées entre les mouvements de l’album fluidifient complètement l’écoute sans perdre l’attention ni rendre le propos confus. On peut notamment relever celle entre Solstice (Interlude) et Djinzin qui introduit encore de nouvelles sonorités et amorce le dernier mouvement du projet, plus agité et tendu. Le solstice, qui donne son nom à l’album est un marqueur d’un renouveau d’après l’artiste, le passage à une étape supérieure, ou tout du moins différente, attestée par les innombrables rites païens qui ont lieu à ces périodes de l’année tout au long de l’histoire.

L’interprétation au premier plan

Au cœur de cette fiction musicale, Lala saisit l’occasion de s’épanouir dans des registres variés, en tant qu’héroïne du BUT, la rébellion qui voue un culte au soleil et à la musique. Elle pirate la radio officielle, puis provoque la chute du régime, avant que Lala n’obtienne le cœur de la jeune femme rencontrée plus tôt. Cette mise en scène qui valorise l’artiste correspond à ses prouesses d’interprétation et à sa versatilité. La direction cohérente empruntée par Phazz rend l’écoute digeste et immerge dans l’univers dystopique mais laisse une grande marge d’exploration musicale. Le morceau BUT aux éléments sonores tout droit sortis d’une usine et à la voix assurée partage la tracklist avec 3am in paradise, sensuel et à la touche plus lisse, sans pour autant désemparer l’auditeur. Il en va de même pour l’ambiance estivale et cadencée de Jalouse, introduite par le skit radio comme une mise en abîme du potentiel mainstream du morceau, qui côtoie la lenteur teintée de samples soul de Déranger. L’artiste occupe une place centrale, car elle incarne la puissance contestataire comme séductrice, et traduit les maux ainsi que les aspirations de la société asphyxiée que l’album dépeint, mais elle agrémente également ce tableau de collaborations notables. Santos, caractérisé par son synthé retro, ses longues notes, et son kick en sourdine, laisse les voix suaves et réverbérées de Lala et Dinos se déployer, avant de s’achever sur un passage instrumental qui met en suspens l’effondrement de la société dystopique. Avec La Fève, Lala &ce renoue avec son amour de la trap et accompagne l’artiste dans son abandon du traitement sur la voix pour laisser la prod saturée rythmer les bars. Enfin, elle invite Ste Milano pour une fusion entre les sonorités futuristes et ses racines ouest-africaines qui engendre un contraste inattendu et réussi.

Renouvellement sonore et manifeste de versatilité

Outre sa narration, ses performances et sa variété, SOLSTICE se démarque par la fraîcheur de son identité sonore, caractérisée par sa modernité, malgré des rythmiques bien connues. En effet, Phazz et les autres compositeurs articulent leur instrumentales autour d’instants de silence alternés avec des instants de saturation, lorsque les éléments de la prod surgissent. Le mixage accentue ce contraste et laisse beaucoup d’espace à la voix de la rappeuse, souvent bien moins traitée qu’auparavant. Les beatmakers intègrent également des éléments dissonants ou répétitifs qui rappellent l’angoisse de la société dysfonctionnelle dans lequel le récit se déploie, comme dans les morceaux BUT ou Licorne. Drogue d’hiver incarne un autre motif de l’album : les prods évolutives ou progressives, qui entraînent l’auditeur dans l’inconnu et rafraîchissent la structure classique des morceaux moderne, composés de deux couplets et deux refrains. Néanmoins, l’exemple le plus flagrant de cette tendance à l’innovation agréablement surprenante reste Apocalypse Sitcom, le morceau avec lequel Lala a décidé d’entrer sur scène lors de la cérémonie du prix Joséphine, vêtue comme si elle vivait dans Mad Max. L’instrumentale comme l’interprétation ne peut que déboussoler car elle sort du répertoire auquel on s’attend pour un album produit avec de tels moyens. Sans ces touches de créativité et d’avant-gardisme, on oublierait que ce n’est pas une major qui chapote le projet. Lala emploie une voix de tête enivrante, accompagnée d’un rythme composé d’une alternance d’éléments sonores impactant, mais souvent passagers tant la progressivité de la prod ne laisse l’auditeur s’accoutumer à elle. De nouvelles sonorités l’agrémentent tout du long jusqu’à le laisser rêver d’un nouvel opus après la punchline finale et éponyme.

SOLSTICE est un album consistant, ambitieux et abouti. Sa cohérence tient dans son fil rouge bien amené et l’homogénéité des éléments sonores pourtant si variés qu’on trouvera toujours de quoi nous plaire dans la tracklist.