« Le rap conscient c’est chiant » : analyse d’une phrase faussement élitiste

Depuis maintenant plusieurs années, la tendance est aux moqueries lorsqu’il s’agit du rap conscient. Les acteurs du rap dit conscient sont eux qualifiés d’ennuyeux, de chiants et de donneurs de leçons. D’où vient cette opinion, partagée largement, qui voudrait que le rap conscient soit désuet ?

Une surreprésentation d’auditeurs de trap

Afin de mieux comprendre ce phénomène, il faut tout d’abord savoir que le courant rap conscient a longtemps été majoritaire dans le rap français. Il est désormais minoritaire depuis plusieurs années, remplacé par un rap plus individualiste et égotrip.

Premièrement, les fans de rap à tendance trap ou égotrip sont beaucoup plus susceptibles de critiquer le rap conscient que les auditeurs de tout autre sous-genre de rap. Il y a une raison à cela. Les rappeurs conscients sont à l’opposé net de l’égotrip. Cela ne signifie pas que les rappeurs « trap » ou egotrip sont mauvais et que les rappeurs conscients sont les meilleurs.

La Rumeur ne souhaite pas avoir le public de Booba, et inversement.

Des intentions différentes

L’intention du rap conscient

Un groupe comme Sniper ou Assassin souhaite que les gens écoutent leur musique et s’intéressent à leurs paroles, c’est pourquoi leurs morceaux sont écrits et produits comme ils le sont. Les fans d’un rap plus axé trap ne recherchent pas forcément ça. Ils souhaitent tout d’abord s’ambiancer et même si une attention est prêtée aux paroles, elle l’est beaucoup moins que pour un auditeur de rap conscient. Le rap conscient est destiné à être digéré, entendu, absorbé, réfléchi et, dans sa forme la plus notable et pure, régurgité.

Le rap conscient est conçu pour attirer et retenir votre attention de manière à vous permettre d’interagir avec vos amis, débattre avec vos rivaux. Voir même, inspirer les nouvelles générations à être aussi bonnes, voir meilleures que leurs artistes préférés.

L’intention lorsque l’on écoute de la trap

La trap n’a pas cet objectif. Son objectif principal est d’agir comme un signal. Lorsque le beat drop, tout le monde sait qu’il est temps de turn up.

La vie devient amusante et excitante : il est temps de vivre le moment présent et de se concentrer sur la réalisation de ses objectifs. Le rap conscient est conçu pour être une musique d’avant-plan alors que la trap est conçue pour être une musique de fond, avec des basses assourdissantes et des hi-hats bien placés.

C’est la musique que tu entends lorsque tu vas en boite de nuit. C’est le son que tu entends en fond lorsque tu danses avec cette fille. C’est la nouvelle musique fantastique. C’est la musique qui te fait comprendre, juste en vertu de son écoute, que tu as la vie devant toi. C’est le rêve qui t’es vendu. La génération Millenials est dans un état perpétuel de partage de médias sociaux et ils veulent la bande-son appropriée pour leurs fêtes amusantes et excitantes et ce n’est certainement pas du rap conscient.

C’est pourquoi les mots sont inutiles. C’est pourquoi il importe peu que le rap soit politique. Il n’est pas nécessaire de dire quoique ce soit d’intelligent. Il n’est même pas nécessaire de faire des rimes. Le but est de proposer une expérience, un sentiment de vivre quelque chose de génial et d’appréciable. Ce sentiment n’est pas lié à des mots, ni à une voix ou à un instrument particulier. C’est une vibe, une ambiance. Et si le morceau parvient à distiller cette ambiance, le boulot est accompli. Aucun rappeur conscient n’en est capable.

L’entertainment et l’ambiance : nouveaux paradigmes du rap français

Le rap conscient n’est pas fait pour danser dessus et encore moins oublier les déboires de sa semaine. Il est fait pour prendre des notes mentales. En soirée, personne ne demanderait au DJ de passer un morceau de Kery James ou de Sniper. Validée de Booba serait demandé. Dès le Départ de Kaaris, Bonjour de Vald ou bien un morceau de Koba LaD. Vous ne voudriez certainement pas un morceau de Kery James. Ce morceau tuerait l’atmosphère à une vitesse incroyable.

Le biais de l’attente

Si l’on vous tend un gâteau, qu’on vous bande les yeux et qu’à la place on vous fait manger une bouchée de la meilleure pizza jamais conçue, vous la recracheriez probablement parce que vous n’avez aucune idée de ce que vous venez de mettre dans votre bouche mais vous savez très bien que ce n’est pas un gâteau.

Le rap conscient est une pizza et les auditeurs de trap veulent des gâteaux. Alors ils disent que c’est ennuyeux. Seulement, le fait d’avoir un apriori musical va biaiser leur avis et parfois même condamner de manière définitive leur opinion sur un sous-genre musical entier. Le fait de ne pas répondre aux attentes que l’on a n’est en aucun cas une critique qualitative, c’est justement la marque même de la subjectivité la plus totale.

Une vengeance envers l’élitisme des auditeurs de rap « à l’ancienne »

Les fans de rap conscient ou rap « intelligent » sont les descendants spirituels (et dans certains cas, directs) des snobs élitistes du rap français. Il faut reconnaitre la fâcheuse tendance des défenseurs du rap conscient à critiquer le rap dit simpliste tout en allongeant une liste de rappeurs et en affirmant « ça c’est du vrai rap ».

Ils méprisent les rappeurs dit « vulgaires » et leurs fans. Personne ne veut se faire entendre dire qu’il est stupide. A ce mépris, les élitistes old school se sont donc vu opposer cette phrase assimilant le rap conscient à quelque chose de chiant. Cette véhémence et cette répétitivité prend ses sources dans l’élitisme de base affiché par les auditeurs de rap conscient. A cet élitisme de base, réel et spontané, est opposé un élitisme de façade.

Tibbar
Tibbar
Do you fools listen to music or do you just skim through it ?

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