On entend souvent les médias et les personnes extérieures au rap décrire l’influence négative que le rap français peut avoir sur la jeunesse. Il est cependant plus rare que le débat se créé de l’intérieur, mais cette question soulève un débat fondamental : est-ce que les rappeurs doivent être des modèles pour la jeunesse en mesurant et ajustant leurs paroles ?
Avant de lire cet article, regardez la vidéo ci-dessous (durée : 1 minute et 26 secondes).
Je vous présente Youv, il a 20 ans de prison ferme derrière lui, et écoutez son message. pic.twitter.com/mBoczIaTQJ
— AlbanianWithAttitude (@Admir_fdlrc) October 11, 2018
Pour résumer, Youv est un ancien criminel ayant purgé 20 ans de prison pour braquage à main armée. Il adresse son constat amer à la jeunesse, ses regrets et ses conseils pour éviter de perdre bêtement de nombreuses années de sa vie.
Rien de bien révolutionnaire dans le message jusque là, c’est même quelque chose d’assez évident diront les plus cyniques d’entre nous. Mais ce sont les dernières secondes de la vidéo qui vont soulever un point intéressant.
« Arrêtez d’écouter les zoulous qui font du rap, qui se prennent pour des voyous. Ils ne font pas ce qu’ils disent, ils éteignent la caméra, ils rentrent chez eux, ils vont travailler. Toi t’es sur le terrain, tu crois en ce qu’il dit le mec, t’es à fond dedans. C’est du mytho, c’est des imposteurs. »
Le rap a t-il une influence ? Indéniablement
Le rap a évidemment une influence sur les comportements des gens qui l’écoutent.
L’influence émotionnelle
Le rap est un genre musical et la musique est un art. Il est donc normal de ressentir diverses émotions en écoutant du rap. Cela peut être de la joie en entendant une production particulièrement bien façonnée, l’envie de danser, de sauter, de crier. On peut éprouver de la tristesse en écoutant un morceau mélancolique, avec des paroles touchantes et poignantes. Étonnement, énervement, dégoût, admiration, la palette d’émotions possible est très large et variée.
Toutes ces influences émotives, directement liées au caractère artistique du rap, est le fait de tous genres musicaux. On peut pleurer en écoutant un morceau, ressentir de la nostalgie, frissonner… Toutes ces réactions physiologiques sont normales et témoignent de notre réceptivité émotionnelle et artistique. Ce panel d’émotions peut affecter nos humeurs et les comportements qui en découlent.
L’influence d’action
Le rap influence l’émotion mais également l’action. Contrairement à l’influence émotionnelle, l’influence liée à l’action est beaucoup moins forte et dispose de plusieurs paliers. Plus le contenu est en dehors de toutes normes sociales, moins il sera facile d’être influencé par celui-ci. Pourquoi ? Parce que nous sommes des êtres intelligents, capables de différencier la fiction de la réalité et le bien du mal.
C’est pourquoi il est plus facile d’acheter du Unküt après avoir écouté une punchline vestimentaire de Booba que de « faire taire de con d’Eric Zemmour » comme le préconisait Youssoupha dans A force de le dire.
Et c’est ce qui fait toute la beauté du rap, il est plus facile, neurologiquement, d’être influencé par un « Tout le monde peut s’en sortir, aucune cité n’a de barreaux » de Booba que par un « J’ferais un salut Hitlérien si je vais à Salut les Terriens » d’Alkpote. Donc même si les individus peuvent en effet être influencé dans leurs actions en écoutant du rap, ce sera dans l’immense majorité pour le meilleur.
Ce qui pousse un individu à passer à l’action de manière violente, il faut le chercher dans son vécu, son éducation et son environnement, pas dans la phrase qui aura potentiellement servi d’élément déclencheur. Ceci s’applique également aux jeux vidéos, aux films…
Les rappeurs ont-ils une part de responsabilité ?
Non. La question ne se pose même pas. Comme dit précédemment, aucune personne sensée n’ira shooter qui que ce soit d’une balle dans la tête parce que Niska l’a chanté dans un morceau. Sauf si, elle est en plein délire psychotique à tendance schizophrénique ou paranoïaque. Tout peut alors se transformer en déclencheur, une bousculade dans la rue, un mauvais regard, une punchline…
En revanche, une fois sorti de l’axe musical, les rappeurs deviennent automatiquement responsables de leurs paroles. C’est juridiquement admis : ce qui est prononcé hors-cadre artistique est considéré comme sérieux et passible de poursuites. Lorsque le rappeur Sadek déclare en interview chez Booska-P qu’il faut « braquer, arracher et charbonner« , on n’est plus du tout dans du musical et la différence perçue par les plus jeunes entre sérieux et entertainment devient tout de suite plus floue.