En 2007, IAM sort le morceau Rap de Droite sur son 5e album, Saison 5. Un titre sur lequel AKH et Shurik’n s’en prennent ouvertement à ce qu’ils qualifient de rap de droite : luxure, enrichissement, capitalisme, exhibition de richesses matérielles, soif de pouvoir. A travers ces propos, on associe, bien évidemment, le rap de droite d’IAM au gangsta rap de l’époque, qui en regroupe alors toutes les caractéristiques. En parallèle, le groupe accuse également la société de pousser les rappeurs et les auditeurs de rap à créer et à consommer du contenu « droitisé ».
Le temps montrera que le rappeur gangsta n’est pas la figure de la droite. En 2007, le rappeur Doc Gynéco, bien loin des clichés manichéens évoqués par IAM, affichera publiquement son soutien à l’UMP et à Nicolas Sarkozy lors des élections présidentielles, ce qui viendra confirmer son engagement à droite et fera donc suite à son featuring avec Bernard Tapie sur le morceau C’est Beau La Vie, sorti en 1998. Rap de Droite n’est donc pas un morceau à prendre au pied de la lettre. En revanche, il soulève une question intéressante : l’argent et le capitalisme, mis en avant par bon nombre de rappeurs aujourd’hui très populaires, sont-ils forcément le reflet d’un engagement politique ? Le Rap de Droite est-il réellement de droite, c’est-à-dire de manière consciente et politisée ?
UNE GENESE « A GAUCHE »
Quitte à ressortir une vieille disquette, allons-y dès le début. Le rap, à la base, c’est quand même à gauche. Chez NTM, Assassin ou IAM, pionniers du genre en France, on peut écouter des discours semblables, évoquant la souffrance des quartiers pauvres, la solidarité des populations qui y vivent, une prise de défense des opprimés et un mépris pour la classe politique ainsi que pour les forces de l’ordre. Nous avons donc affaire à des lyrics prônant la solidarité et l’égalité. L’argent, du moins la fortune, n’est pas perçue comme absolument nécessaire, et est même parfois perçue comme toxique, comme le laisse penser le morceau L’argent pourrit les gens, du groupe Suprême NTM sur son premier album, Authentik. Bien qu’aucun des rappeurs cités ne se soit jamais revendiqué de tel ou tel bord politique, les valeurs portées trouvent plutôt leur place à gauche. Les rappeurs n’ont rien à voir avec la bourgeoisie, avec les « riches », et ils le revendiquent.
SEXE, POUVOIR ET BIFTONS
Dans la deuxième moitié des années 90, le rap explose. Le grand public découvre le rap grâce à MC Solaar ainsi qu’avec Doc Gynéco et sa Première Consultation, Skyrock devient la première radio entièrement dédiée aux musiques urbaines. Cette amorce ne sert pas à étaler ma culture rap, mais à expliquer un tournant : le rap se vend. Au départ, une niche, qui devient plus tard un business très rentable, ce que devient finalement le cas de tous les mouvements musicaux gagnant en popularité. Le rappeur n’est plus un jeune des quartiers pauvres, désireux de mettre en musique la colère des opprimés pour faire changer les mentalités, il devient une star. Le mode de vie n’est plus le même, et qu’est-ce que l’on vit mieux avec de l’argent ! L’influence et la médiatisation donnent également une sensation de pouvoir.
Certains rappeurs restent fidèles à leurs idéaux du début, mais c’est aussi l’avènement de rappeurs assumant leur intérêt pour l’argent, pour la réussite personnelle et pour le pouvoir, la force apportée par le succès. Nous entrons alors dans une autre dimension du mouvement hip-hop, le fameux « Rap Game », une compétition intrinsèque dans laquelle les rappeurs « s’affrontent » pour savoir qui est le plus puissant, le plus vendeur, le plus influent, en gros : celui qui pèse le plus. La réussite financière et la gloire sont donc au cœur du rap, aussi bien dans les lyrics que dans la manière de gérer son image. Une image virile, qui fait office de « crédibilité », dans le cas de rappeurs prônant sur tous les points la réussite personnelle et professionnelle.
En tête de ligne, Booba, dans les années 2000. C’est le premier (du moins, celui qui a démocratisé) rappeur à porter un intérêt assumé aux yeux de tous le succès et l’argent, inspiré directement du gangsta rap américain, à la 50 Cent ou à la Rick Ross. Petit à petit, son image va devenir la quintessence du « Rap de droite », regroupant tous les clichés : luxure, argent, matérialisme, enrichissement personnel, pouvoir. Et, comme pour le modèle américain, beaucoup de rappeurs vont se calquer sur cette image lors de l’explosion de la trap dans les années 2010.
S’LEVER POUR 1200, C’EST INSULTANT
Aujourd’hui, la richesse et le pouvoir sont des sujets omniprésents dans une bonne partie du rap le plus populaire. Et où est la politique ? Nulle part, du moins, elle n’est jamais explicite. Tout d’abord, on remarque que les rappeurs faisant l’apologie de l’argent, traitant parfois même le rap seulement comme un moyen de s’enrichir, sont souvent issus des populations des banlieues. Ce sont ceux qui en ont eu le moins qui en veulent le plus. On peut donc associer cette soif de pouvoir et d’argent à une revanche sur un passé difficile mais aussi une revanche sur la société, qui les a toujours méprisés, et où l’argent est le seul critère permettant une ascension.
Les mecs de cité ont du talent et le savent, et ont trouvé un moyen de l’exploiter, donnant lieu à un discours aux tendances nihilistes : on retrouve toujours cette hostilité envers la société bourgeoise et ses valeurs, qui ne conviennent pas au rap, ainsi qu’envers la classe politique et le gouvernement, l’orientation capitaliste qu’a prise le rap ne trouve cependant pas sa place dans un quelconque échiquier politique. Finalement, c’est comme si les rappeurs privilégiaient le fait de sortir de la pauvreté et d’accéder à une meilleure place dans la société au fait de faire la révolution.
L’ascension individuelle prime, tout en étant fier de son milieu social et de son passé difficile, intimement marqués par le capitalisme. Sortir d’une situation difficile au sein d’une société méprisante envers les plus démunis, c’est ça qui rend la victoire encore plus jouissive. Faire de l’oseille et le montrer n’est que la revanche des rappeurs envers un système qui les a oppressés auparavant, et au sein duquel ils peuvent dorénavant briller, rien de tout ça n’est fondamentalement de droite ou de gauche.