Bien qu’éprouvante, l’année 2020 aura su être bénéfique pour beaucoup d’artistes. Explosion du nombre d’EPs, surproductivité, quantité ou qualité… que retenir de cette année 2020 si particulière ? Voici la sélection Thésaurap des meilleurs albums de rap français de l’année 2020.
Les 15 meilleurs albums de rap français
15. Eloquence – Fuoriclasse
Le rap français ne le mérite pas comme il l’affirme dans « Maradona 86 » avec à ses côtés Zek, que l’on pourrait mettre dans le même panier. Le 11 Septembre 2020, sors le neuvième projet d’Eloquence, rappeur prolifique depuis 2010. Fuoriclasse, c’est de nouveau toute son expérience privée et professionnelle qu’il réunit à chaque projet, avec une simplicité déconcertante. Eloquence Vibes a entamé sa carrière à la fin des années 90, traversé le début du siècle avec décontraction, marqué une pause pour revenir plus fort.
Aujourd’hui cela paraît facile pour lui, de rapper comme s’il était issu de la dernière génération des rappeurs français. Il est difficile de lui coller une étiquette tant, son style varie, entre les instrus planantes d’un côté, la trill de l’autre et par sa manière de poser. Le tout dans un univers bien défini par son auteur. Rien n’est laissé au hasard, son énergie est canalisée, les textes sont directs. Il s’offre même le luxe de faire des passes décisives aux rappeurs à l’ancienne et jeunes inconnus.
14. Deen Burbigo – Cercle Vertueux
Alors que Grand Cru représentait une tentative pas toujours fructueuse à l’exercice du chant, Cercle Vertueux est un retour vers ce qui a rassemblé les fans de Deen : le flow. Non pas qu’il n’existe plus la moindre trace de passages chantés dans sa musique, mais il a cette fois réussi à faire sonner ses chants comme des bars.
Car, si l’on ne peut que respecter les artistes voulant s’émanciper de leur carcan, il y a en général des raisons pour lesquelles ledit carcan est ce que les auditeurs préfèrent chez un artiste. Deen brille quand il rappe. Il reste bon quand il chante, mais cela n’atteint pas le niveau de kiff qu’il procure quand il décide de cracher le feu. Cercle vertueux est son retour au plus haut niveau, remettant au goût du jour une esthétique aussi classieuse et épurée que puissante et technique.
13. Green Montana – Alaska
Chaleureux dans ses mélodies, glacial dans son univers, Alaska de Green Montana est une belle découverte de 2020. Le premier album du rappeur signé chez 92i marie parfaitement flows, rythmiques et prods. Le seul featuring de l’album, Booba marque sa présence dans Tout Gâcher mais pas uniquement, il a aussi participé à l’ensemble de la direction artistique du projet.
Dans cette ébauche originale, l’artiste belge joue de l’egotrip tout en se livrant. Trahisons, désillusions et ambitions rythment majoritairement Alaska au travers de prods calmes et futuriste à l’image de Séquelles. Montana veut remplir l’Atlas et ce n’est qu’une question s’il persiste avec des projets authentiques comme ALASKA.
12. Kekra – Freebase Vol.4
Allier qualité et quantité n’est pas un problème pour Kekra. Freebase, vol. 04 est son 9e projet en quelques années seulement, et la mixtape pourrait prétendre au statut d’album tant elle est réussie. Le rappeur fait preuve de versatilité, passe avec aisance de la mélancolie (Bravoure) à l’égotrip (Liste), des morceaux calmes (T-shirt blanc) aux sons dansants (Mal compris), du français à l’anglais (Anything). Kekra parvient à embellir des productions de bonne facture, et Freebase vol.04 est une véritable démonstration de force: il s’impose comme un immanquable de 2020.
11. S.Pri Noir – État d’esprit
Plus concis que Masque Blanc, S Pri Noir revient dans la peau d’un agent secret avec État D’Esprit. Fort d’un casting de neuf invités, le projet arrive toujours à rebondir, tout en restant fidèle à son fil conducteur. La grande polyvalence de cet album permet à l’auditeur de rester en haleine, en suivant l’agent 00S à travers sa mission. Entre morceaux kickés, introspection et pop urbaine mélodieuse, S Pri met au service de son album-concept ses différents atouts. Sur ses thèmes de prédilection comme le luxe, les femmes, l’égotrip et la remise en question, le rappeur parisien, toujours juste entre raffinement et textes bruts, atteint son objectif avec brio.
10. Isha – La vie augmente 3
LVA 3 est parfaitement venu conclure la trilogie commencée par Isha en 2017. Dans cet opus, il se reinvente dans un style plus mélodieux. Et la légèreté musicale matche parfaitement avec la plume toujours aussi brute du rappeur bruxellois. Les prises de risques se sont avérées payantes, à l’image du puissant morceau « Les magiciens », où Isha traite du colonialisme avec une naïveté presque enfantine, toujours dans ce contraste entre la brutalité et la douceur.
Rares sont les invités, mais ils apportent tous en qualité, de Dinos à PLK, en passant par le pianiste le plus connu du rap français Sofiane Pamart. Même si la vie n’a de cesse d’augmenter, Isha n’oublie pas d’où il vient, et le rappe poisseux trouve quand même sa place dans LVA 3 (Boulot/Baobab). Un projet riche qui laisse entrevoir un brillant futur pour le premier album du rappeur.
9. Damso – QALF
Que vous fassiez partie des détracteurs ou des adorateurs de QALF, vous avez forcément un avis sur la question. Si d’autres rappeurs de cette section (hello Freeze) sont plus clivants quant à leur personnage, Damso se trouve lui logé dans cette catégorie d’artistes écoutés par une énorme partie de la population – ses quasi 12 millions de streams en 24 heures en sont témoins – et est donc au centre de toutes les conversations. Et, au-delà de toutes considérations critiques, c’est tout ce qui importe.
Le jour de la sortie de QALF (18 septembre) était le jour de Damso, des hordes de fans se déchirant sur la qualité du projet. Dems a atteint une place tellement importante dans la société que tout le monde désirait aimer l’album, et tout le monde se devait d’avoir une opinion sur le sujet. Pendant quelques instants, au milieu d’un marasme politique et sanitaire, Damso était le sujet de discussion principal. On ne va pas mentir, ça a fait du bien.
8. Wit. – NØ FUTURE
À l’image de Laylow avec Trinity, l’année 2020 pour Wit. aura mis de la lumière sur un talent déjà dévoilé grâce à NĒO, en 2019. Avec NO FUTURE, il démontre l’affirmation d’un style bien à lui. Débordant de confiance et d’envie, il peint un tableau assez sombre de son quotidien. Tout ceci joué sur des productions aussi riches que variées, des flows aussi bien kickés que chantonnés : NO FUTURE est un bouquet musical cohérent.
D’autant plus qu’il fait preuve d’une direction artistique visuelle très travaillée, en passant par la cover, comme par son dernier clip “Canyon Diablo” au sein d’une ambiance post-apocalyptique étouffante. Avec ce projet, Wit. confirme d’une belle manière les attentes placées en lui et pourrait voir s’ouvrir les portes vers un public bien plus large dans les mois à venir.
7. Infinit’ – Ma vie est un film II
Après des EPs plongés dans les soleils de Californie et de Nice, Infinit’ est revenu avec la meilleure version de lui-même. Bien que déjà loué pour son sens aiguisé de la technique, il a affûté son art en proposant encore plus de punchlines schématisées et pleines de multisyllabiques. Ce qui le distingue des autres découpeurs (comme son compère Alpha Wann), c’est la facilité qu’il a d’ambiancer la foule grâce à ses toplines témoignant d’un swagger infini(t’). Le morceau « Redbull » est la quintessence de l’Infinit’ de 2020, dotée d’un refrain technique mais ensoleillé grâce au background G-Funk, le tout transpirant de style. Et ça, ce n’était qu’une mixtape. On attend le premier vrai album avec impatience.
6. Népal – Adios Bahamas
Le chant du cygne d’un grand artiste. Celui qui rappe, chante, compose, et produit avec le cœur. S’il ne kicke pas autant qu’avant, il prend cependant plus de risques en variant les productions et en chantant plus fréquemment. Au-delà de l’universalité toujours présente dans son œuvre, il se dégage ainsi une douceur et une bienveillance de cet album, Népal n’ayant jamais été si positif dans sa carrière. Cette évolution était une amorce, une inclinaison vers une version plus belle de Népal qui ne verra malheureusement jamais vu le jour. Il a fallu qu’il disparaisse pour apparaître en pleine lumière.
5. Alpha Wann – Don Dada Mixtape Vol.1
2018 était l’année de l’explosion pour Alpha, UMLA devenant rapidement une référence moderne. 2020 est, non pas l’année de la confirmation, mais l’année de la détermination. Alpha accepte définitivement de ne jamais devenir un roi, préférant se réfugier dans ses schémas de rimes complexes et des sonorités ne pouvant jamais espérer passer le cap du single d’or – et encore. Le plus étonnant – mais réconfortant – est que cette stratégie marche relativement bien commercialement parlant.
Ainsi, si certains peuvent regretter cette volonté de ne pas exploser, il faut au contraire se réjouir qu’Alpha ne finisse pas dans la même catégorie que ses idoles Nubi ou Salif, hauts placés du panthéon du rap français mais sans succès commercial contemporain. Le Don ne sera jamais roi, mais il aura sa couronne.
4. Dinos – Stamina,
C’est confirmé : depuis trois ans, Dinos est le roi de l’hiver. Stamina s’inscrit dans la continuité de l’esthétique hivernale développée sur Imany et Taciturne, en gardant la mélancholie et le kickage mais en étant par instants moins lourd que ses prédécesseurs. La formule n’est pas simplifiée pour autant, mais elle plus épurée – ce qui peut expliquer le succès de l’album. Il est toujours aussi précis dans ses punchs qu’on peut répéter en soirée, toujours en quête du refrain accrocheur, mais sans jamais dénaturer son amour pour le rap technique, en témoigne le morceau-fleuve 93 mesures ou son passe-passe avec Nekfeu. Encore une belle preuve que le travail paie.
3. Ichon – Pour de Vrai
Pour de vrai est un OVNI. Mêlant des influences musicales diverses, du chant, une production léchée et des couplets de rap très réussis, l’album est une franche réussite.
Écoutez l’album d’Ichon, tendez l’oreille, et, si vous n’aimez pas le style, vous lui reconnaîtrez peut-être ce goût de l’aventure musicale qui a parfois manqué au rap francophone ces derniers temps.
2. Laylow – Trinity
Ce filou de Christopher Nolan a tenté de nous faire croire qu’il avait sorti le meilleur film de science-fiction de 2020. Personne n’est dupe. Trinity est l’œuvre de science-fiction la plus aboutie de l’année, et ce grâce à l’attention toute particulière apportées aux détails et à la cohérence de l’univers peint par Laylow. Moderne, froid, robotique, autant désespéré qu’enragé, les prods électroniques et remplies de basses de Dioscures combattent la voix modifiée et versatile de Laylow, sous fond d’une histoire dystopique mêlant rue, amour, et dérives technologiques.
Les interludes et autres sonorités digitales ne font qu’accentuer l’immersion dans ce film audio, et c’est ce soin constant qui permet à Trinity de se hisser dans la dimension des disques d’or. Ce succès inattendu confirme encore une fois que 2020, c’est aussi l’année des réussites sans compromis.
1. Freeze Corleone – LMF
Nonobstant toutes considérations politiques, LMF s’inscrit dans cette tendance si chère à cette magnifique année 2020 : tout renverser. Représentant number one de la drill en Francophonie, le ton de Freeze est toujours aussi monocorde, les beats de Flem sont toujours sombres, mais, cette fois-ci, la formule est poussée à son paroxysme. Si certains pointeront çà et là quelques menus détails comme la longueur du projet ou certains feats moins convaincants, LMF cimente pour de bon la place de Freeze parmi les acteurs les plus influents du rap jeu. Il voulait choquer ? Il l’a fait, et ce en réussissant le meilleur démarrage de sa carrière.